Marques de luxe, vers l’entreprise liquide?

Chanel liquéfié par Zevs, Liquidated logos, 2009

Vous avez peut-être suivi cet été les mésaventures de Zevs, artiste adepte du graffiti, arrêté mi-juillet à Hong-Kong pour avoir fait « dégouliner » le logo Chanel sur la vitrine d’Armani. Une façon pour lui de signifier la guerre que se livrent certaines marques.

Ci-dessous, Zevs à l’œuvre cet été à Hong-Kong

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Cette affaire mêlant coulure couture et liquide me rappelle ce que Francis Pisani et Dominique Piolet définissent comme l’entreprise liquide(1). Derrière ce concept se cache une entreprise qui a voulu, qui à su ou qui à pu intégrer le mode collaboratif et relationnel dont elle à besoin pour rester dans la course. En d’autres termes une entreprise qui a refusé la rigidité face à l’inconnu. Or le moins que l’on puisse dire c’est que dans le domaine du luxe et de la mode, une certaine austérité face aux outils du web était de mise, du moins jusqu’à  la dernière Fashion Week new-yorkaise…

« En effet, nous avons vu que les flux d’informations et de données doivent circuler de plus en plus librement à l’intérieur de l’entreprise, comme entre l’intérieur et l’extérieur, si l’entreprise tient à intégrer le mode collaboratif et relationnel dont elle a besoin pour rester compétitive. Cette nécessité stratégique pour rester dans la compétition, c’est l’entreprise liquide. » (Francis Pisani x Dominique Piolet, in Comment le web change le monde)

(1) Comment le web change le monde, par Francis Pisani et Dominique Piolet, éditions L’Atelier.

Le constat

En interne, force est de reconnaître que les équipes de communication en place sont encore souvent peu familières de ces nouveaux outils. Qu’en est-il de la mixité avec les nouveaux talents intégrés ? Comment cohabitent les rédactions digitales (numériques) et traditionnelles ?

En externe, les blogs de mode, constituent une vaste communauté de web-acteurs, journalistes-reporters d’un nouveau genre qui publient chaque jour, texte, photos et vidéos, inventent de nouveaux formats de programmes sur un sujet qui les passionnent. Ils se frottent ainsi quotidiennement un peu plus à la presse traditionnelle et à la télévision (quelle semble loin « Paris-modes », l’émission culte de Marie-Christiane Marek !). Cependant ils tardent a être reconnus et intégrés dans des processus réellement qualitatifs et participatifs.

On pourrait rétorquer à juste titre d’ailleurs, que cette rigidité est compréhensible, le luxe véhicule du rêve et de l’exclusif et s’accommode mal de la multitude. On ne dirige pas une entreprise de luxe comme une entreprise éditrice de logiciel informatique (hormis Apple) ! Cependant face à cet effet de parallaxe(2) naît une certaine impatience.
Mis à part une poignée de maisons qui ont remis en cause leur pratique et su s’interroger (méthode dite du try & go), l’immense majorité de celles-ci est encore dans l’expectative.
Pour devenir des entreprises liquides, ces maisons doivent accepter une certaine dose de ce que l’on pourrait qualifier de porosité sélective. Laisser aller et venir les flux informationnels générés par les internautes. Mettre en place les outils de recherche nécessaires pour identifier et échanger avec ces milliers de passionnés, dont certains sont de vrais prescripteurs. Créer de vraies collaborations et non de la récupération(3).

(2) Décalage visuel où les objets au premier plan (ex: les web-acteurs) « semblent » se déplacer plus vite que ceux au dernier plan (ex: les maisons de luxe).
(3) Dans un autre domaine, il est étonnant de voir certains publications offline et leur pendant online récupérer – et galvauder – le streetstyle sans y apporter aucune valeur ajoutée, la fin du streetstyle ?

Ci-dessous, Yves Saint Laurent liquéfié, (c) deeelightful.com

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Ci-dessous, Louis Vuitton liquéfié par Zevs, Liquidated logos, 2009

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Le futur c’est today !

Soyons positifs, les choses semblent s’être précipités ces dernières semaines, notamment lors des récentes Fashion Week, certaines marques de luxe semblent se montrer plus ouvertes à la circulation de ces flux. Lors de la Fashion Week parisienne, Louis Vuitton a retransmis en direct le défilé printemps-été 2010 sur… Facebook. Une opération qui permet de recueillir le feedback et ravir les quelques 700 000+ inscrits sur la fan page. Une opération spectaculaire qui à le mérite de calmer les impatients ou encore de faire jouer la montre, avant de proposer d’autres types d’opération ? À suivre.
Dans cette affaire, reste en suspens la question sur le rapport entre le quantitatif et le qualitatif, mais toujours est-il que la marque phare du groupe LVMH à le mérite d’être force de proposition (proactifs).

Lors de la Fashion Week new-yorkaise, plus discret (plus en accord avec un univers luxueux ?) et plus marquant à mes yeux, fût la présence front row au défilé Dolce & Gabbana des quatre fantastiques de la blogosphère: Garance Doré, Scott Schuman, Tommy Ton de Jak & Jil et Bryanboy. Leur place était réservé avec un laptop mis à leur disposition, afin qu’ils puissent communiquer en live leurs impressions sur le show.

Voici donc quatre blogueurs dont la qualité du travail est reconnue au point qu’ils soient placés au même rang, physiquement du moins, qu’Anna Wintour ! Pour les deux designers italiens la raison de cet upgrade (mise-à-niveau) est déconcertante de simplicité et de bon sens :

« En parlant avec leurs clientes, ils se sont rendus compte qu’elles passaient leur temps sur internet. Qu’elles étaient hyper informées, qu’elles voulaient que ça aille vite, qu’elles étaient prêtes à acheter tout de suite. Ils se sont dit que c’était un âge nouveau, qu’il fallait avancer avec son temps. » (Garance Doré)

Gageons que cette initiative soit l’an 1 de cet âge nouveau qui mixeront MacBook et bloc notes au premier rang des défilés…

(2) Décalage visuel où les objets au premier plan (ex: les web-acteurs) semblent se déplacer plus vite que ceux au dernier plan (ex: les maisons de luxe).

 

(3) Dans un autre domaine, il est étonnant de voir certains publications offline et leur pendant online récupérer – et galvauder – le streetstyle sans y apporter aucune valeur ajoutée. Le streetstyle est-il en train de mourir ?

(2) Décalage visuel où les objets au premier plan (ex: les web-acteurs) semblent se déplacer plus vite que ceux au dernier plan (ex: les maisons de luxe).

I had a dream… (Christian Dior, version beta)

Les marques font de plus en plus appels à l’avis des internautes, principalement pour affiner leur stratégie de communication et de positionnement sur le web.

Mais d’autres marques comme Radiohead ou Moby ont demandé à leur fans(1) de participer à la création de leur œuvre; en l’occurrence il s’agissait dans les deux cas de créer un videoclip.

La firme Procter et Gamble(2) propose aux internautes de résoudre en concurrence avec son propre centre de R&D certains problèmes qui se posent à elle. Voici des marques, des entreprises et des artistes, prêts à collaborer avec cette intelligence collective formée aussi bien d’amateurs experts que de simples utilisateurs du web.

le site aniboom-radiohead

dream_radiohead

L’inspiration vient de la rue…

Après des décennies pendant lesquelles les maisons de couture ont décidé de la longueur des jupes. La dynamique s’est inversée avec les années 60. La rue comme espace public, les nouveaux comportements, inspirent les créateurs et génèrent un foisonnement créatif inconnu jusqu’alors.

Cependant, certains courants majeurs comme le streetwear déboulant fin 80-début des années 90, n’ont été que tardivement intégrés dans les collections (circa 1995), soit un temps de latence relativement long.

Si l’on considère le web et les réseaux sociaux comme le nouvel espace public numérique(3) c’est là, sans doute, qu’il faudra aller chercher, autant pour nourrir son inspiration que pour y résoudre des problématiques plus complexes que le métrage de tissu.

Y-a-t-il pour autant un fossé qui se creuse entre la rue et les podiums ?

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La mode en « béta » permanente

Qu’est-ce qu’une marque de prêt-à-porter ? C’est une entreprise qui tous les six mois (certaines tous les quinze jours), par l’intermédiaire de son créateur et de son bureau de style propose des nouveaux produits, les améliore, les adapte pour conquérir et développer sa clientèle.

Considérons qu’une marque de prêt-à-porter est en béta-permanente, en renouvellement continu, comme le sont de nombreux services du web 2.0 (GMail et consorts) !

Peut-on faire un parallèle entre la dynamique des services web innovants et le Prêt-à-porter ?

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L’expérience du participatif?

Alors rêvons que les internautes fans de mode pourraient se voir proposer par une marque: d’envoyer croquis, gammes de coloris et idées matières pour un vêtement ou un accessoire. Après sélection, celui-ci pourrait être réalisé soit industriellement soit en édition limitée par les ateliers avec bien sûr une communication adaptée à l’évènement. La mise en place d’une véritable plate-forme d’échange d’idées (sharing).

Dans la mesure où aujourd’hui, la création se doit d’être soutenue par l’industrie pour exister, cela devrait intéresser les marques de Prêt-à-porter, les bureaux de style, tout autant que les créateurs en herbe.

Bien entendu, cela relève d’un véritable défi du mode de pensée et de fonctionnement des structures. Cela implique l’acceptation d’une mise en concurrence nouvelle, moins ordonnée et moins prévisible.

Mais le meilleur moyen de connaître l’Autre n’est-il pas d’aller vers lui ?


(1) Radiohead à lancé un concours via le site aniboom, Moby réalise une opération similaire ici
(2) À lire dans Comment le web change le monde, l’alchimie des multitudes, de Francis Pisani et Dominique Piotet
(3) Danah Boyd, anthropologue et PhD student à l’université de Berkeley, lire ses publications ici et sont blog là. N’hésitez pas à cliquer sur le Best of de son blog afin d’en savoir plus sur le web, les réseaux sociaux, la mobilité etc.