EDU: Yves Saint Laurent, une marque anti-bourgeoise et scandaleuse !

Survol du cours réflexif #4 sur l’IMAGE

Pouvoir et la subjectivité de l’IMAGE.
L’IMAGE a d’abord été utilisée pour combler les aspects invisibles de notre quotidien dixit l’inventeur de la médiologie Régis Debray.
Ainsi dans l’Égypte antique, le Livre des Morts décrivait le royaume des morts, permettant ainsi de donner une représentation visuelle à un espace invisible.
L’IMAGE comble un vide et stimule notre imagination, contribuant ainsi à accroître notre connaissance.

CECI N’EST PAS UNE ŒUVRE D’ART

L’IMAGE, même imparfaite, tire sa force de son pouvoir de communication et de suggestion, sans dépendre des normes linguistiques.
Un enfant de trois ans, incapable de lire, peut décrire ce qu’il voit dans une IMAGE.
Pour illustrer cela, nous avons étudié les trompe-l’œil de la Renaissance, les tableaux impossibles de Magritte ou encore les IMAGES qui nient.
Nous avons immédiatement constaté que la ressemblance n’est pas nécessairement requise, comme en témoigne le tableau de Magritte intitulé « Le Blanc-Seing ». Les étudiant.e.s l’observe et décrivent une femme à cheval dans la forêt, puis réalisent simultanément l’impossibilité de cette IMAGE.
La pouvoir de suggestion fonctionne à plein régime, bien avant toute analyse ou lecture approfondie.

Le Blanc Seing, René Magritte, 1965

Les conventions visuelles sont acquises plus rapidement et ont peu changé en Occident (cf. « Le Plaisir des images », Maxime Coulombe). L’IMAGE établit un rapport analogique avec l’objet qu’elle représente, tandis que le langage est contingent et relatif.

Et la marque dans tout çà?
Les directeurs artistiques joueraient donc le rôle de passeurs bienveillants entre le client et la marque. Leur mission serait d’assurer l’équilibre entre degré et nature, tel que l’exprimait Bergson. In fine accroître l’adhésion à la marque sans en altérer la nature.
Prenons-nous à rêver, chaque campagne de communication devrait aspirer à être un tableau de Magritte, suscitant l’émotion et l’adhésion.

Quick study de la communication d’Yves Saint Laurent à travers les âges
En examinant la campagne de communication d’YSL de 2017 orchestrée par Anthony Vaccarello (controversée puis censurée), nous avons analysé le rapport degré/nature de celle-ci afin d’en estimer la pertinence.

Les mêmes obsessions nourrissent l’IMAGE de la marque Yves Saint Laurent

En étudiant l’ensemble de son patrimoine visuel, allant du logo de Cassandre, au graphisme du dessin du Maître, aux choix des couleurs, des mannequins, au style des photos et de la stratégie de placement des boutiques, nous avons conclu que le scandale était de toujours ancré dans son expression communicationnelle.

De la célèbre photo de 1971 d’Yves Saint Laurent posant nu devant l’objectif de Jeanloup Sieff, en passant par les robes inspirées par Thomas Wesselman, les collaborations avec le sulfureux Helmut Newton, le parfum Opium, le smoking pour femme ou encore la collection « Quarante », tout contribue à la dimension provocante de la marque, à l’opposé de Chanel. Toutes ces images ont progressivement bousculées de plus en plus barrières morales.

On peut ajouter que la sémantique accompagnant les produits (« Libre », « Opium », « Nu », « Champagne » pour n’en citer que quelques-uns) vient renforcer le propos de l’image (méthode vue lors des précédents cours cf. publicité Panzani décryptée par Roland Barthes)

Les campagnes de 2019 ou plus récentes, qui font appel à des artistes tels que Juergen Teller et Vanessa Beecroft (loin d’être des créateurs d’IMAGES consensuelles), affirment que cette marque cherche toujours à bousculer les conventions, à repousser les limites et à faire réfléchir son public, de la manière la plus chic qu’il soit, en créant des émotions, et repoussant sans cesse les frontières de l’expression artistique.

Première analyse
La campagne de 2017 semble respecter la nature de la marque et s’inscrit donc pleinement dans l’ADN d’Yves Saint Laurent.

Toutefois, le degré est lui devenu incontrôlable générant des prises de positions extrêmes.

Cependant la variable qui a suscité la censure n’est pas la nature des IMAGES, mais la diversité des publics.

En effet, autrefois, la cible était exclusivement limitée, nucléarisée à un public « bourgeois ». Cependant, avec la disponibilité croissante des produits qualifiés de « luxe accessible », il faut désormais faire face à de multiples communautés qui exigent d’être prises en compte, sous peine de manifestations.

Conclusion ouverte
Des marques de prestigieuses du secteur du luxe hésitent entre un go-between et un choix plus radical entre degré et nature pour définir leur IMAGE, car sous la pression des réseaux sociaux l’un va rarement avec l’autre.

« Faut-il créer une IMAGE de marque avec du sens ou un fort pouvoir de reproductibilité »?

UNTITLED, 2020, 60 x 40 cm, IMPRESSION TIRAGE PIGMENTAIRE, PAR PURIENNE

Ressources (pour compléter le débat)

  • « Le Plaisir des images », Maxime Coulombe
  • « Vie et mort de l’image », Regis Debray
  • L’image peut-elle nier? », Sémir Badir et Maria Giulia Dondero, Presses universitaires de Liège, 2016
  • Le Mariage De Minuit, René Magritte, 1926
  • Le Peintre Et Sa Femme, Le Maître De Francfort,1496
  • Collage 166, Karel Teige, 1942
  • La Trahison Des Images, 1928–1929, René Magritte
  • La Danse, Alfons Mucha, 1898
  • Elsa Peretti As A Bunny, New York, Helmut Newton, 1975
  • The Dancer, Egon Schiele, 1913
  • Patti Smith, Robert Mapplethorpe, 1975
  • Le Blanc Seing, René Magritte, 1965
  • Objet Impossible, Le Blivet, 1964
  • John Baldessari, Green Kiss/ Red Embrace (Disjunctive), 1988
  • John Baldessari, Plant And Lamp (B+Y; Y+B), 1998
  • John Baldessari, Person On Bed (Blue): With Large Shadow (Orange) And Lamp (Green), 2004
  • John Baldessari x Mario Sorrenti Pour W Magazine, 2007
  • John Baldessari x Yves Saint Laurent FW 2014
  • YSL x Tom Wesselman, 1968
  • Tom Wesselmann (1931-2004), Great American Nude, #57, 1964
  • Anthony Vaccarello Campagne Saint Laurent, 2017
  • Untitled (Cowboy), Richrd Prince, 1989 Photo Sam Abell
  • New Portraits, Galerie Gagosian, Nyc, 2014
  • Midjourney, Stable Diffusion, Dall-E
  • Bergson, Mémoire-habitude et mémoire-image

Saint Laurent by Hedi Slimane

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Petites têtes, petits manteaux, petits blousons, petites jupes et petites bottes, jolis petits moineaux urbains trottant sur la piste. Sur les filles tout est court, très court même, ajusté, vif et franc. Comme un titre de musique punk-rock, le show fuse en mode urgence tandis que la musique bat la contre mesure. Cette saison encore Slimane crée une tension permanente et transversale entre la mode, l’art et la musique.

Les filles, aux allures post-ado, que l’on croise aujourd’hui à la sortie d’un chic lycée parisien, aux jambes qui « tels des compas arpentant le globe terrestre… » (merci Charles) ressemblent à Anna Karina, héroïne godardienne de la nouvelle vague. Voilà pour la temporalité.

La musique est interprétée par le teenage-band californien Cherry Glazerr, un morceau spécialement composé pour la maison Saint Laurent, c’est lancinant, c’est rock, on ne résiste pas, point.

L’inspiration c’est monsieur John Baldessari, 83 ans et artiste conceptuel de son état. À travers son œuvre il montre le pouvoir narratif des images, l’invitation-livret d’une centaine de pages présente une sélection d’œuvres de l’artiste couvrant la période 1966-2004, voilà pour la dimension artistique.

Hedi Slimane se retrouve cette saison, au milieu de tout çà, un peu Godard, un peu Baldessari, un peu Larry Clark aussi, dans cette habileté à faire cohabiter les générations et promouvoir la « youth culture ». Au sein de la maison Yves Saint Laurent il à les moyens d’exprimer pleinement sa transdisciplinarité, il embrasse les époques et les domaines artistiques. Réellement commerciale, la collection comporte nombre manteaux, vestes, blousons et souliers (plats), imprimés et matières diverses, peu d’accessoires en revanche.

Tout comme John Baldessari, Slimane réalise des « juxtapositions », il sait capter l’air du temps avec brio. Il juxtapose les comportements de l’époque, une dégaine, une coupe de cheveux, les gimmicks, une radicalité raffinée, une punkitude chic, une énergie. Ses collections sont actuelles, à consommer tout de suite, en urgence, pour être en phase.

Tout comme le maître Yves Saint Laurent sut capter son époque et booster sa maison à un moment clé de son évolution, avec les robes Mondrian, Hedi Slimane sait sans doute mieux que quiconque qu’une maison de mode ce n’est pas que des vêtements. Chaque saison depuis son arrivée se mettent en place des collaborations artistiques et des exclusivités (music project, vidéos, icônes trans-générationnelles…) en flux tendu. Cette saison John Baldessari à collaboré à la création de trois robes couture qui seront édités en dix exemplaires chacune.

Son savoir-faire, son flair du présent lui permit d’établir son succès chez Dior Homme, l’Homme un territoire où il fallait tout redéfinir à l’aube du XXIe siècle. Pour la femme, c’est plus compliqué, entre une multitude de propositions et une frontière entre prêt-à-porter « luxe et créateurs » et un prêt-à-porter « haut de gamme » qui se brouille au détriment des premiers. Slimane recrée son écosystème créatif et creuse l’écart dans la réalisation des modèles, s’éloignant de toute possible comparaison avec des finitions couture.

En deux mille onze, lors de son exposition au Moca, Hedi Slimane s’est coulé dans la tenue de l’artiste. Au sein de la maison de l’avenue George V il ne se place cependant pas en tant que tel, il ne transgresse pas les codes, ses collections ne se « projettent pas ». Nul question d’expérimentation, une jupe ressemble à une jupe et une veste à une veste.

Hedi Slimane n’est ni « en deçà », ni « au-delà », il est photographe du temps présent. Plus fort que le « designer total » que fut Tom Ford lors des années Gucci, Hedi Slimane est lui un génial manipulateur des codes sociétaux.

Ci-dessous le final, le runway et son arche composée de compas dorés.

A lire
+ John Baldessari: « Picture in a frame », ed. Distanz Publishing
+ John Baldessari: « Somewhere between almost right and not quite (with orange) » ed. Deutsch Guggenheim