LE PARADOXE DE L’URGENCE INCLUSIVE

A l’instar de l’éco-responsabilité, quantités de marques, entreprises ont ces derniers mois révélé tantôt un programme de financement, tantôt un comité de réflexion pour favoriser l’inclusivité et éviter une crise supplémentaire à celles en vogue.

Le paradoxe de l’inclusivité oscille entre au moins deux états: dans le même temps faire surgir et disparaître des singularités.

Dans la presse, l’affichage public, le web, les campagnes de communication reproduisent une certaine coolitude de la vie, belles photos shootées par les plus prestigieu.x.ses photographes.
Une scénographie où toute origine, tout âge, tout physique est représenté, tentant de faire écho à nos diversités.

Pourtant on ne peut blâmer ces supports de communication de vouloir magnifier le réel en vue de provoquer l’action du consommateur, tout en évitant l’anecdote.
Mais cela ne suffit pas à estomper le léger malaise, pas loin du procès d’intention de dissimulation je l’avoue, que l’on ressent entre le séduisant marketing mis en place et les faits (tristes) au sein de l’entreprise ou dans l’actualité…

Devant cet état soudain d’urgence inclusive et du fait que l’entreprise doive se justifier en permanence on se demande si nous ne sommes pas en face d’un phénomène d’inclusive-washing qui plus est laisse place à une préoccupation d’authenticité des valeurs de l’entreprise.


Parmi les marques de mode de luxe très agitées sur la question, Yves Saint-Laurent pour citer un exemple, semble être la moins frénétique. Inscrit dans l’ADN de la marque, il faut remercier en cela monsieur Saint-Laurent pour qui la différence ethnique ne fut jamais un sujet discriminant, la question d’inclusivité n’a donc pas cours.

FIDÉLIA, PREMIER MANNEQUIN NOIR, DÉFILANT POUR LE PRÊT-À-PORTER SUMMER/SPRING 1962, PARIS – © PAUL SCHUTZER
A CETTE ÉPOQUE ON NE PARLAIT PAS DE RÉAPPROPRIATION CULTURELLE… YVES SAINT-LAURENT, COLLECTION INSPIRÉE DE L’AFRIQUE, 1967, PARIS © MUSÉE YVES SAINT-LAURENT

L’effet loupe produit par nos supports de communication à pour fonction de caricaturer, parfois au risque de stigmatiser afin de rendre l’accès plus aisé à la consommation à l’aide de clichés.

Ainsi aux catégories socio-professionnelles des personae se superpose désormais des personae genrées, ethnicisées, voire spirituelles… On assimile un groupe, on l’intègre mais il n’est pas inclu avec ses singularités revendiquées et véhicule toujours les stéréotypes qui lui sont associées.

De ce fait, le groupe en question peut exprimer une violence radicale afin de faire surgir ce paradoxe.

J’en veux pour exemple un édito photo de l’agréable magazine Stylist paru lors du confinement de printemps mais qui reste d’actualité.
La série est censée montrer des femmes dans toute leur diversité:

  • « la vieille », pas mémère, branchée donc déjantée (hors-norme)…
  • « la fille noire », personnage de scène, éternelle muse d’ébène, entre Joséphine Baker et Grace Jones…
  • « la jeune blanche » est la plus riche en symboles (meuble 60, gravure XVIIIe siècle) en total stretching stylistique, elle brasse large, elle est classique-rock-urbaine.
  • Reste « la ronde » qui est la luxure, cantonnée dans ses attributs physiques, tant qu’à faire déshabillons-là (ou ne l’habillons pas), exhibons ses formes.

Baptisée « Ainsi sommes-nous” la série propose une lecture saisissante en contradiction avec le titre, puisque bornant chaque femme dans un rôle parodique, limite heurtant.
On aurait aimé de la part du fameux magazine une mise en scène plus surgissante avec une réelle mixité (acceptation de la différence).
Lorsque “la ronde” sera classique-rock, “la fille noire”, âgée et déjantée, “la vieille” mise à nue et “la fille blanche” en muse… on pourra parler de réelle inclusivité. Ou ne plus en parler justement.

La transformation culturelle nécessaire aux changements des comportements s’opère difficilement. Aux affaires, les générations X et Y, abritent de gré ou de force ces clichés.
Cette métamorphose aura peut-être lieu via l’irruption et l’influence de la culture populaire dans notre quotidien; décloisonnant, bousculant les ordres, les valeurs et les codes en vigueur petit à petit.
La génération Z n’obéissant (presque) à aucune doxa ou conformisme social antérieur, c’est peut-être ce que l’on appelle une révolution culturelle dont les nouveaux représentants sont, outre les Rihanna, Lewis Hamilton, Naomi Osaka, Pretty Yende