
Longtemps accusée de copier, la fast-fashion commence à inventer. À coups de campagnes audacieuses et de collaborations inattendues, elle s’arroge un territoire autrefois réservé aux maisons de luxe : celui de la création visuelle et du discours esthétique.
En cette période de fash-tigue, le comble ne serait-il pas que ce soient les marques de fast-fashion qui proposent aujourd’hui les campagnes les plus audacieuses ?
Tandis que certaines maisons consacrées, vues lors de la dernière Fashion Week, s’enferment dans l’autocélébration, Zara prend le contre-pied.
Zara et Szilveszter Makó
La série Halloween signée Szilveszter Makó est comme une capsule hors du temps.
Le langage visuel de ces « hand-tinted portraits from a forgotten attic » dixit le dossier de presse, ne cherchent pas à imiter un atelier passé mais plutôt à en prélever certains codes et les rendre contemporains à l’heure du digital.
La palette brun-grise, le grain, le décor peint sans profondeur, la pose muette, raide et frontale renvoient immédiatement au « format cabinet » du début du XXe siècle que les familles destinaient à trôner sur la cheminée.



Un héritage réinterprété
J’y perçois également une filiation avec les Primitifs flamands du XV-XVIIe siècle. Lumière douce, chromie ocre, visages graves empreints d’intériorité. Cette sobriété protestante mais ici décalée.
On est presque dans l’ « image de dévotion » mais pour de la direction artistique destiné au stylisme.
L’obsession du détail persiste : un lacet défait par ci, un détail textile par là — autant de micro-signes mis en scène avec une précision d’orfèvre.
Du symbole au signe
Les codes et caractéristiques sont détournées ainsi la dimension précise des photos « format cabinet » (10 × 15 cm) se mue pour le carré d’Instagram.
Les symboles sont dépouillés de leur sens moral pour adopter le sens plus narratif de la marque. Ainsi les objets statutaires tel le livre (érudition) ou la table (stabilité) des portraits format cabinet ou les animaux tel le renard (ruse), la zibeline (luxe) des flamands sont réinterprétés sous la forme de chats découpés, sac peluche, fausses moustaches, pour créer une atmosphère ludique et décalée, à partager.
L’audace comme stratégie d’image
Loin de ses visuels standardisés, « raccourcis », Zara mise ici sur une direction artistique cultivée, presque conceptuelle.
La fast-fashion s’inspire, elle scénarise, elle fabrique du discours visuel. Comme dans toute stratégie Image, la marque se sert des signes visuels pour déclencher une reconnaissance instantanée et accroître la désirabilité.
Zara le pionnier de la fast-fashion et Szilveszter Makó utilisent ici le pastiche comme moteur de création et confèrent –ô sacrilège– à la mode, un supplément d’âme…








