Bas les masques !

Les silhouettes du défilé de Clara Degand, créateur de niveau II dans le cursus de l’Atelier Chardon Savard, étaient bâties, en partie, autour du thème de l’origami.

Le détournement de l’origami n’est pas nouveau. Ne serait-ce que l’an dernier au Festival de la mode d’Hyères,
Alexandra Verschueren, n’était pas très éloignée de cette thématique. Viktor & Rolf pour l’automne-hiver 2012 ont traité le sujet de façon très couture sur certaines silhouettes et John Galliano pour Dior à fait de même pour le printemps-été 2007.

Une convergence autour du masque

Les masques créés par cette jeune créatrice sont tantôt fait de papiers pliés et dépliés tantôt d’origamis. Le visage prend alors un aspect « facettes 3D » très video-graphique.

Simultanément, le magazine Art Press du mois de mai propose un article traitant des masques dans la musique. Un article du journal Le Monde trouvé par hasard (daté du début du XXIe siècle!) traitait de la disparition du costumier de théâtre et concepteur de masques Rostislav Doboujinsky.

Ci-dessous une création de Rostislav Doboujinski que l’on peut mettre en parallèle avec une des robes arborant un masque sur la poitrine de Clara Degand (00:19 sur la vidéo).


Rostislav Doboujinski, masque pour The sleeping beauty, 1968, copyright Victoria and Albert Museum

Il y a aussi la dimension mystique du masque, sa fonction d’intermédiaire entre le réel et le surnaturel. En tant qu’accessoire de mode, c’est un objet qui est rarement utilisé. Pourtant on travaille tout autour du visage, la coiffe (chapeau, capuche), les yeux (lunettes), le cou (l’écharpe, les nœuds), les oreilles (boucles) mais rarement la face (excepté via le make-up). On ne le voit guère sur les podiums agrémenter une tenue, même pour le decorum ou comme Mario Faundez le fait au moyen de détournements (ici des casquettes).

Le masque-armure

Le masque fait peur car il fait disparaître le visage. Notre société interdit de se voiler la face. Sous le masque on saisi difficilement notre regard et nullement nos expressions de visage. Allant nu et masqué on en serait moins saisissable et sans doute, aussi, plus sûr de soi. Le visage qui s’empourpre, les lèvres qui se crispent et le front qui se plisse sont alors indétectables, le masque se fait armure. Bas les masques !

Ci-dessous une armure de plaques du XVIe siècle et le vêtement de guerrier urbain Puma x Vexed Generation de 2005, notez la similitude des masques.


Maximillian jousting armour (1525-1600)


Puma x Vexed Generation

Le masque et la dualité

Ostentatoire, le masque est l’atour de la séductrice au bal -qui se donne-, une armure faite pour charmer. Dépouillé il pare aussi les dangereux détraqués -qui retiennent- des films d’ados.

Selon que l’on voit les choses de façon positive ou négative, les masques de Clara Degand sont comme des origamis que l’on aurait déplié (ouverts, le don) ou au contraire des feuilles que l’on aurait plié (fermées, la retenue). Le masque révèle pleinement sa fonction duale. Tel Janus aux deux visages (ci-dessous).

 

janus-pièce-2

Pièce représentant la divinité romaine Janus

La peur du masque

Et que dire de la cagoule? On pense alors à braquage de banque. On la tolère pour les enfants, mais les adultes sont priés de s’abstenir, même lorsque American Apparel tente de la réhabiliter ou que la hype nous ressert des cagoules de catcheur. La cagoule fait peur. Surnom donnée à une organisation subversive des années 30, elle est cet accessoire qui occulte toute ou partie du visage et vous rend mystérieux (lire le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux).

Le masque fait référence a des choses enfouies en nous, il participe à un comportement tribal, au chamanisme, il appartient au passé, il est archaïque. Multicolore ou monochrome, de bois brut ou de carton, charmant ou effrayant, il fait de son porteur un intriguant.

Danses bergamasques et jeu de scène

Tom Cruise, Russell Crowe… Doit-on s’étonner lorsque l’on découvre sur les silhouettes de Clara Degand des stars hollywoodiennes imprimées? Non si l’on reconnaît au masque sa valeur symbolique permettant de dissimuler une partie de soi pour mieux personnaliser un individu, incarner un personnage, être acteur.
On cache son visage et l’on exprime en revêtant l’habit (autre rite?) le désir d’incarner un autre, « de s’approprier sa célébrité » (Lady Gaga, in Art Press, n°378), de le posséder.

Tout cela s’exprime parfaitement sur les podiums des créateurs avec les mannequins. Sacrées l’espace de quelques secondes, elles arborent regard perçant et sourire glacé (portent le masque) sur leur visage, pour coller au désir des photographes de magazines.

Le masque est alors, cet intermédiaire entre monde réel et monde imaginé, qui fait d’elles des avatars. Elles sont proches du théâtre, dont le symbole est un double masque. Gageons que le défilé terminé elles tomberont le masque.

Liberty enlightening fashion !

Bernhard Willhelm, Autumn-Winter 2010-2011

Si j’avais eu 17 ans en 1975, me serais-je baladé en perfecto clouté et crête punk au 430 King’s Road a Chelsea?

Cette statue de la liberté portant une baguette de pain en guise de flamme est signée Bernhard Willehlm… Liberté sur fond rouge, elle porte boubou bigarré, crête punk faite de baguettes, rouge à lèvres sombre et rimmel qui dégouline. Un symbole détourné et mis au goût du jour comme La Marseillaise reggae de Serge Gainsbourg le fût en son temps.

Il fut un temps où Jeremy Scott (autre designer iconoclaste) fréquentait assidument Karl Lagerfeld, maître de la maison Chanel. Le DIY et le Luxe, deux univers apparemment si éloignés peuvent se rencontrer. On peut se rememorer la rencontre au début des années 80, entre Jean-Michel Basquiat le graff’artiste de rue et Andy Warhol le peintre socialite pop.

La mode n’est pas que le glamour de Gucci, la faste de Chanel ou la folie créative de Dior. Le Luxe est audace, prise de risque et innovation, l’humour, la dérision, le choc des rencontres en sont donc des parties intrinsèque.

Contrairement aux idées reçues le Luxe est loin d’être passéiste et immobile, bien au contraire. Dynamiques, il n’est donc pas étonnant que les entreprises de ce secteur soient les premières à sortir de la crise économique.

« Enlightening » (éclairant en français) que l’on pourrait aussi rapprocher du terme enchanter (éblouir d’une lumière vive au point de provoquer une grande admiration) est ce vers quoi tend le Luxe, à la recherche d’un ré-enchantement(voir la dernière ligne de ce billet).

M. Bernard Arnault à intégré John Galliano, un punk, à la direction artistique de Dior, Vivienne Westwood, initiatrice du mouvement punk avec Macom Mc Laren fait aujourd’hui parti de l’establishment anglais. Quelle marque de Luxe va oser intégrer un esprit frondeur comme Bernard Willhelm (ou un Jean Paul Lespagnard…) à sa direction artistique?

— English text

If I had 17 years old in 1975, would I wandered in studded jacket and punk mohawk hairstyle in front of the 430 King’s Road in Chelsea?

The Liberty Enlightening the World wearing a french bread as a flame is created by Bernhard Willehlm… Liberty in red, wearing a colorful robe, a mohawk made of sticks, dark lipstick and a dripping mascara. A symbol hijacked and set up to date as Sex Pistols’ God save the queen was in its time.

There was a time when Jeremy Scott (another iconoclastic fashion designer) was a dear friend of Karl Lagerfeld. It would be interesting to see if the DIY world of the american designer and the luxury world of Chanel can meet and mix. Somewhere it reminds me the meeting in the early 80s, between Jean-Michel Basquiat, the graffiti artist and Andy Warhol, the socialite pop painter.

Fashion need all these talents, it is not only the glamour of Gucci, the luxury of Chanel or Dior’s creativeness. Humor and mockery is part of Luxury. Luxury is daring, risk, and innovation. Unlike popular belief Luxury is not stationary. Therefore it is not surprising to see companies like Hermès to be the first to emerge from the economic crisis.

John Galliano, punk, is since 1996 the artistic director of Dior. Vivienne Westwood, mother of punks, is from years now, part of the british establishment. The challenge: which Luxury brand will incorporate a mind like Bernard Willhelm in his artistic direction?

 

Modoscopie | L’art contemporain, le luxe et la mode

Résumé de la table ronde du 23 octobre à l’IFM

Participants: Elsa Janssen, responsable du pôle Art et Création aux Galeries Lafayette, Lorraine Audric, professeur à la Parsons School, Caroline Champion, spécialiste des relations entre art, mode et haute-cuisine, Émilie Faïf, scénographe-plasticienne, Alexandra Fau, journaliste et critique pour différentes revues d’art contemporain, Christophe Rioux, professeur d’économie.

Transversalité entre art, luxe et mode

Emilie Faïf- Les relations entre l’art et les métiers du luxe apportent à l’artiste concerné une visibilité qu’il n’aurait pas au sein de son atelier, mais aussi des budgets et des matériaux qui lui seraient difficilement accessibles.

– Certaines marques sont sincères (ex: Issey Miyake, Comme des Garçons, Hermès..) et prennent du temps pour faire comprendre leur univers à l’artiste invité. Mais elles conservent un désir de maîtrise sur ce qui va sortir, elles demandent avant tout un produit (politique communicante).

– D’autres marques comme Isabelle Marant cherchent moins à maîtriser le travail de l’artiste et veulent comme résultat de la collaboration laisser passer un sentiment, une émotion.

Alexandra Fau, Lorraine Audric- Plusieurs grandes maisons ont été contactées, afin de avoir comment elles collaboraient avec les artistes, existe-il une réelle connivence ou est-ce un énième logo appliqué ?

– Ces maisons ne semblent pas chercher les jeunes talents (peur ?), il n’y a pas d’investigation, on retrouve toujours « les » Richard Prince, Nan Goldin, Erwin Wurm… Il y a uniquement le désir d’augmenter la cote de l’objet mis en vente.

– Cela correspond à la recherche d’artistes « compatibles », c’est-à-dire qui ont une démarche esthétique cohérente avec la maison et ce qu’elle souhaite donner comme image.

– On observe un effet Matthieu dans le choix des artistes. On assiste a un phénomène de starification, on multiplie les passerelles avec une prime à la célébrité. Pour valoriser des produits on va chercher la superstar (Nan Goldin…)

Caroline Champion- Les relations entre art et mode ont fondamentalement changé durant le siècle passé, si l’on se réfère aux deux citations ci-dessous:

– La relation entre art et mode n’est pas naturelle pour Madeleine Vionnet: « La couture c’est du commerce, quand on parle d’un artiste on parle d’une personne, mais quand on parle d’un couturier on parle d’une maison de couture, c’est commercial. »

et

– Pour Jean Louis Dumas, ex PDG d’Hermès, le rapprochement semble évident: « Si je ne craignais pas d’apparaître prétentieux, je nous comparerais a un artiste peintre, on ne dit pas que Picasso a marqué un tableau on dit qu’il l’a signé, nous partageons cette notion de dignité de l’oeuvre »

 

L’apport de l’art contemporain aux marques de luxe ?

Christophe Rioux- Un échange du type potlach: où l’on attend une réciprocité, ce sont des échanges rarement desintéressés.

– Contexte de fond économique: le luxe et l’art sont intégrés dans le mouvement des industries de la création.

– Il y a une convergence généralisée des lieux du luxe et de l’art contemporain, il se crée un tourisme-nomadisme artistico-luxueux: « là où va le luxe, va l’art »

– En marketing l’enfant de la fusion entre monde de l’art et du marketing s’appelle artketing.

 

Takashi Murakami avec Louis Vuitton

– Agit dans les deux sens : il à créé des « produits » et a ensuite intégré ces produits dans ses expositions (y compris muséales) jusqu’à y mettre une véritable mini boutique Louis Vuitton, créant par la même un mini scandale…

– La stratégie pour les marques est de monter en gamme, remonétiser en prenant un nom connu de l’art contemporain ou du design. Cela apporte à la marque une singularité, un caractère unique, celui du créateur solitaire.

 

Du destin de l’art: mieux vaut collaborer avec ces marques de luxe ou être pillé ? Y-a-t-il un phénomène de récupération ?

Lydie Valentin- Il y a une légitimation créative des maisons de luxe et de mode lorsqu’elles font appel a des artistes contemporains.

– Processus de récupération et de copier-coller: les cabinets de tendance semblent beaucoup s’inspirer de l’art contemporain afin d’identifier des axes et des pistes de création.

– Glissement de l’artiste vers le créatif. Il y a une évolution patente des créatifs vers le statut d’artistes a part entière (cf. Hussein Chalayan qui fait régulièrement des expositions dans des lieux d’art).

– Les artistes contemporains sont-ils dans une tendance de création pour valoriser leur travail ?

– Il y a une inspiration mutuelle, un phénomène d’échange permanent.

Vitrine de la boutique d’Isabel Marant par l’artiste Emilie Faïf (à droite sur la photo)

« L’art doit rester l’art, la mode doit rester la mode »

Elsa Janssen- les artistes sont enthousiastes à l’idée de mettre en scène des vitrines, de travailler dans des espaces différents de leur atelier, de faire de nouvelles rencontres, d’avoir à faire à de nouvelles contraintes, de développer des connivences avec d’autres marchés, de développer des projets innovants, d’avoir accès à des matériaux difficilement accessibles, d’avoir une relation qui s’enrichit.

– Les entreprises privées créent de plus en plus de fondations, dans lesquelles de moins en moins de conservateurs vont diriger. Elsa Janssen souhaite que l’autonomie de ces lieux demeure afin de pour faire avancer l’histoire de l’art.

 

Statut de l’objet

– L’objet est une œuvre en tant que tel, un sac Hermès est un investissement que l’on peut transmettre à ses descendants comme une oeuvre d’art.

– On créé des produits de plus en plus hybrides : les produits de luxe ont tendance a devenir des œuvres d’art et inversement.

– Le luxe est engagé dans un processus de démocratisation, les produits sont de moins en moins anomaux (moins fortement symbolique et perdant leur fréquence d’achat plus rare, opposé à banal).

Caroline Champion- Lorsque les designers culinaires font des performances, est-on en présence d’un produit dérivé de l’art contemporain ou est-on du coté du design ? Les problématiques de rentabilité, de reproductibilité de l’œuvre sont difficiles dans le cadre d’une performance.

– Il se développe une économie du fétiche (correspondrant à la valeur symbolique des choses) afin de valoriser une production par comparaison avec l’art qui lui est doté d’un réel pouvoir symbolique.

Mécénat et destin de l’art

– Les industries du luxe (Pinault/Arnaud) ont un quasi-monopole sur le financement d’un grand pan de la culture et de l’art contemporain. Sans elles il n’y aurait pas toutes ces manifestations culturelles.

– Vu le marché concurrentiel féroce dans lequel les choses évoluent et bien que ce soit une logique qui a toujours existé, jusqu’à  quel point y a-t-il aliénation ?

– Comme ces industries deviennent des sources de financement incontournables cela favorise-t-il les artistes luxo-compatibles, les artistes d’affaires?

– On assiste à l’émergence de produits pop (post Warhol, post Duchamp). Des artistes comme Takashi Murakami ou Richard Prince entretiennent une relation étroite avec cette logique, mais gageons que les artistes aient suffisamment d’indépendance pour ne pas sombrer dans ce schéma.

– ex: Wim Delvoye et Sylvie Fleury ont ils conservé leur pouvoir critique ?

Qu’attend-t-on de l’artiste ?

– Qu’il soit un partenaire, comme une entreprise ?

– Certains artistes fonctionnent comme des PME.

– Aujourd’hui un étudiant en art préparant son Master s’imagine comme un futur Takashi Murakami habillé en Prada. Il fait un exposé sous Powerpointâ„¢ avec des visuels en 3D présentant l’oeuvre qu’il va produire dans 6 mois et qui tiendra compte des contraintes du marketing !

L’art contemporain tend vers les industries de la mode, l’inverse est-il vrai ?

– Ce mouvement prophétisé par Andy Warhol existe et va se renforcer; les musées deviennent des grands magasins et inversement.

– Giorgio Armani veut que son flagship de la Ve avenue soit un Guggenheim.

Pourquoi l’art fait vendre depuis 20 ans ? Pourquoi l’art est-il un luxe ultime ? Pourquoi les industriels-commercants se saisissent de l’espace de l’art pour créer un imaginaire qui attire de plus en plus ?

– On a vécu l’intensification du phénomène d’esthetisation de la marchandise, le beau est partout, une machine a café, un aspirateur se doivent d’être beau. L’industrie du luxe et de la mode ont besoin de retrouver une aura pour éviter la banalisation (effet Canada Dry).

– Symétriquement on a vécu une marchandisation de l’art et de la culture.

– Les codes des maisons de luxe sont copiés par « les » H&M et consorts.

– L’effet camouflage consiste à inviter des créateurs une fois par an pour masquer une non-créativité. Rem Koolhaas pour créer le batiment de la télévision chinoise(!) ou Karl Lagerfeld, Sonia Rykiel, Alber Elbaz pour H&M.

– Il est alors intéressant d’observer le développement stratégique de LVMH rachetant Maje et Sandro afin de créer un luxe populaire, populuxe (?)

– Le luxe et la mode vont vers l’art contemporain afin de retrouver un ré-enchantement (la religion esthétique) de la marchandise, le shopping devenant un acte culturel.

Bibliographie

  • La bande son de l’art contemporain, Bernard Lamarche-Vadel
  • Hors-d’œuvre, Essai sur les relations entre arts et cuisine, Caroline Champion
  • Les écrits de la sociologue Nathalie Heinich, qui a travaillé sur la notion d’artiste de l’antiquité à nos jours.
  • Les cahiers des universités du luxe (du 5 octobre 2010), abcluxe.com
  • Voyager avec Christophe Colomb, recueil de textes de Karl Marx publié par Louis Vuitton…
  • Les écrits de Raymonde Moulin
  • L’oeuvre d’art et ses significations, Erwin Panofsky
  • Art contemporain: le concept, Samuel Zarka
  • L’art a l’état gazeux (ou comment l’art s’est dissout dans d’autres univers), Yves Michaud
  • L’art et la Mode, Art Press
  • Les écrits et le blog de Judith Benhamou-Huet
  • Le catalogue de l’exposition « Space for fantasy », Audrey Massina, commissaire

Be my

At work… avec la styliste Tiphaine Deguelle, nous profitons de notre break-déjeuner pour surfer sur les sites de VPC, pour voir ce qui s’y passe. Cela faisait suite une discussion où l’on constatait la furieuse montée en mode de ces enseignes.

Pour exemple les affiches des 3 Suisses et leurs accroches jouant sur le détournement de slogans. Elles sont efficaces et mettent en scène, entre autres, Irina Lazareanu. Le phénomène s’accélère, cela fait plusieurs saisons que ces enseignes collaborent avec des stylistes et personnalités de la mode reconnus, voire pointus parfois.

Sur le site des 3 Suisses, le (cœur) de « Mode in Paris » signant la photo de homepage rappelle celui de l’über-événement à venir Lanvin loves H&M. Notez également la contiguïté des écritures manuscrites façon marqueur.

Cette proximité temporelle et graphique est-elle une simple coincidence? Air du temps graphique où l’on voit de plus en plus de ces « ❤ » agrémenter les fils de discussion Twitter ou Facebook. Ou bien à-t-on à faire à de l’opportunisme graphique inconscient?

Dans une société submergée d’images, il ne faut pas négliger les micro-impacts quotidiens sur notre cerveau de consommateur liés à ces signes et aux différentes réactions qu’ils peuvent susciter. Savoir les manipuler est donc un important. C’est ce que la maison Lanvin est en train de réaliser, afin d’atteindre une audience plus forte. Mais nul galvaudage ici, Alber Elbaz insiste: « It’s not Lanvin going public, but H&M going luxury »…

Le cœur de Lanvin loves H&M fait graviter autour de lui deux marques aux antipodes l’une de l’autre. Il est shocking pink, comme dirait Elsa Schiaparelli,comme cette collaboration. Bien que complices elles ne se mixeront jamais. Le cœur des 3 Suisses est lui rouge vif, moins luxueux, avant tout et simplement féminin, très chouchou.

Ces petits cœurs bondissants, sont trendy et up-to-date, ils ne vous rangent pas dans la catégorie de ceux qui aiment mais dans celle de ceux qui love maintenant et vite. Avec ce signe, les 3 Suisses, Lanvin, H&M, tous, love la mode. D’ailleurs un des derniers magazines de mode des éditions Condé Nast, s’appelle… Love. Demain ou la saison prochaine on lovera ailleurs. Ainsi va la mode…

Bouchra Jarrar | La sensualité de la quadrature du cercle…

Rendre sensuelles des lignes géométriques, des droites, des angles aigus et des obliques. Comme la quadrature du cercle, mission impossible ?

Bouchra Jarrar depuis sa Collection n°1 y réussi à merveille. Ses lignes viennent s’appliquer gracieusement, suggérer la courbe d’une hanche ou d’un sein. La ligne graphique soulignée par un biais écru dans le modèle ci-dessus, suit naturellement les formes du modèle et ne contraint nullement la fluidité de la matière.

Revue de détails

Haute Couture ? Non. On parle aujourd’hui de prêt-à-porter de luxe ou de sur-mesure, du concret, plus adapté à son époque.

Donne moi un V…

Les coupes et les fentes laissent apercevoir la taille ou une épaule. Pas très Va Va Voum ces Vestales, mais elle vous donnent tout de même le Vertige. Dans un bizarre love triangle(1), portant collier-plastron Volontaire, elles offrent leur nombril au sommet d’une encolure V plongeant elle même vers d’autre triangle Voluptueux

Dans les silhouettes ci-dessus on devine à la fois Piet Mondrian, Chanel (pour la bichromie noir/blanc) voire Jean-Louis Scherrer pour la géométrie (où la créatrice à fait un passage éclair).


Encolure V chez Jean-Louis Scherrer


Piet Mondrian, Composition with grid 2, 1915

(1) A réécouter Bizarre love triangle de New Order ici

PFW | Les « men at work » de Kris Van Assche

Une vidéo qui résume les inspirations du moment de Kris Van Assche. Le thème des hommes au travail qu’il dit poursuivre depuis douze défilés est mis en scène ici par des jeunes hommes défilant sur un rythme mécanique. Les tenues monochromes ont des volumes confortables, proposant une certaine aisance toute nécessaire au worker. Les pantalons sont généralement portés taille basse, agrémentés par des poches plaquées au côté. On voit aussi ce qui peut s’apparenter à des tabliers d’artisans (cf. au début de la vidéo).

Les vestes quand elles ne sont pas portées ouvertes et fluides, sont ceinturées à double tour à la taille afin d’être bien maintenues pendant l’effort (voir la très belle veste à 1:07 sur la vidéo). Les manches des vestes et des chemises se portent remontées (voir sur KVA ici), comme un travailleur de force.

Le men at work, qu’il soit peintre (en bâtiment, artiste ?), garagiste ou autre porte des débardeurs à large encolure en fine maille et des chemises légèrement transparentes, encore de la légèreté et de la fluidité, comme dans la majorité des présentations masculines de cette saison.

On peut penser au photographe portraitiste allemand August Sander.

Ci-dessous, August Sander, « Gypsy » (circa 1930). La même fluidité dans ce costume des années 30, que dans les tenues de Kriss Van Assche cette saison.

August Sander, « Helene Abelene » (circa 1926). Plus de 80 ans d’insolente modernité. Tout est génial dans cette photo, la tenue, la pose, la femme.

august-sander-helene-abelen

Sur le thème du travail, August Sander, « le mécanicien » au vêtement taché 

À mettre en parallèle également, le travail d’Irving Penn commencé il y a plus de 50 ans sur les petits métiers et qui est actuellement exposé à Paris, à la Fondation Henri Cartier Bresson.

Irving Penn, les garçons bouchers
Les aléas du métier… les taches sur les vêtements que l’on retrouve à la fin du défilé de Kris Van Assche.

Couture | Effet de manches chez Lefranc-Ferrant

Il fait frais au Palais de Tokyo où s’est déroulé le show de Lefranc-Ferrant. Non pas que la température extérieure ait baissée, bien au contraire, mais tout simplement parce que le défilé auquel on a assisté est une collection été 2011 calée dans le calendrier automne-hiver 2010 ! Du court, des couleurs et des matières estivales, c’est une habitude chez Lefranc-Ferrant que de défiler avec décalage.

Les silhouettes sans audace particulière,  sont pimpantes et très parisiennes, col relevé et manches retroussées.

Arrêtons-nous sur un détail toutefois, la tête de manche de certains modèles de cette saison. Observons la couture de l’arrondi d’épaule placé beaucoup plus bas que de coutume. Le genre de détail que l’on ne peut voir qu’au sein des backstages.

Béatrice Ferrant, propose de la baptiser la « Manche LF » (manche Lefranc-Ferrant)!

Détails de manches et d’emmanchures

In the backstages: l’ambiance

Featuring les coiffeurs, les habilleurs, Mario Lefranc et Béatrice Ferrant ajustant les modèles avant que les mannequins formant The Line ne s’élancent sur le runway.

Serial Karl

Omnipotent et inévitable Karl Lagerfeld…

Où se situe-t-il entre une pierre-cardinisation (aussi appelé galvaudage) de son image et son envie d’apparaître comme un Andy Warhol. Quelle est sa place, entre de multiples apparitions (Sécurtité routière, La Redoute, H&M, jeu vidéos, Coca-Cola…) et sa prédisposition (son désir ?) d’apparaître comme un mentor, un gourou ?

Karl Lagerfeld, l’amour du risque: galvaudage ou génial ?

Karl Lagerfeld à ce besoin insatiable de créer. Rappelons que dans les années 90, celui que l’on baptisait le « mercenaire de la mode » présidait à la destinée de quatre maisons de couture (Chloé, Karl Lagerfeld, Chanel et Fendi !). Quand bien même on peut trouver son omniprésence épuisante, force est de constater que ce bourreau de travail, fait preuve d’une curiosité, d’une transversalité et d’une passion qui laisse admiratif.

Et qui dit prise de risque, dit plus grande disposition aux… chocs et aux ratés. Ses dernières créations vidéos, Fitting Room, Vol de jour, Chanel Paris-Shangaï sont peu convaincantes. La scène finale de Remember Now  rappelle un Andy Warhol au milieu de sa Factory, composée de models et d’artistes arty…

Mixons les images de l’univers d’Andy Warhol et de Karl Lagerfeld. On peut alors, se laisser aller à réaliser un détournement en 4 étapes…

Etape 1: Green Coca-Cola bottles, 1962 (Andy Warhol)

Etape 2: Campbell’s soup cans (Andy Warhol)


Etape 3: Karl Lagerfeld, c’est bien connu, est un adepte du Coca-Cola Light (2010)

Etape 4, le détournement: Serial Karl ou Karl Lagerfeld en série (à consommer sans modération?)

Andy ? Karl ?


Lady Dior | Lady blue, la dame de Shangaï

Postulat de départ le sac Lady Dior est un produit de luxe (à vérifier).

Tout comme d’autres maisons de luxe l’ont fait en ce début d’année la maison Dior a mis le cap sur Shanghaï, nouvelle capitale du luxe. Marion Cotillard, l’interprète principale de ce troisième opus de la saga Lady Dior est cette fois-ci dirigée par l’immense David Lynch.

Pour Lady Noire, beaucoup d’internautes s’étaient plaint du fait que la fin de l’histoire laissait le spectateur dans l’expectative, qu’en sera-t-il d’un web-movie de plus de 15 mn réalisé par l’hermétique David Lynch ?

Invoquer le réalisateur de Inland Empire (!) pour faire la promotion du Lady Dior relève-t-il d’un pari artistique et de communication fou et/ou d’un désir évident de distanciation?

Lynch x Lady Dior: alibi artistique?

Non quand on sait que luxe, art et culture ont toujours fait bon ménage, ils sont tous des émetteurs de goût. David Lynch est un réalisateur unique en son genre, le Lady Dior est donc, par conséquent (?), un produit unique en son genre.

Oui si l’on considère que le Lady Dior n’a pas une aura à la hauteur de l’univers lynchien. Le Lady Dior n’à pas l’image fantasmée d’un sac Kelly (cf postulat de départ).

Lynch x Lady Dior: désir de distanciation?

Oui car pour apprécier l’univers de David Lynch il faut un apprentissage, un rite de passage que l’on retrouve souvent dans ses films. Souvent symbolisé par un objet (cf. la boîte bleue dans Mulholland Drive, l’oreille coupée dans Blue Velvet) ce rite est ici signifié par le sac Lady Dior. Le sac permet le passage entre deux mondes (réel et fantasmé) mais aussi pour le consommateur vecteur d’ascension culturelle, sociale, etc.

Oui car « Il faut donc un bagage culturel pour apprécier le luxe » (1) et qui mieux qu’un réalisateur comme David Lynch peut réaliser cela?

Non, car presque toutes les images, les couleurs saturées sont appréciables par tout un chacun. Marion Cotillard est une actrice proche du public et rend accessible cet univers. Les effets de la caméra Hi-Speed, me rappellent la mythique scène de poursuite de Chunking Express de Wong Kar Wai et sont appréciables pour leur rendu esthétique.

Lynch vs Dior ou Lynch x Dior?

Une marque de luxe de n’a pas nécessairement besoin d’une star du show business pour promouvoir son univers. David Lynch risque-t-il d’occulter l’aura de Dior ? Que retiendra-t-on de tout çà ? On attend avec impatience le quatrième et dernier opus de cette saga.

Le projet est ambitieux et s’exposera forcément à la critique, on est pas dans une simple « pub », on ne vend pas un produit mais on décrit un univers de marque (une démarche inhérente à toute marque de luxe), une attitude prise de risque, de dénicheur et de leader, en effet le luxe ne suit pas la tendance, il la précède.

(1) Luxe oblige, Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer

Tag ! Tag ! Tag ! | Commedia della moda

tag-tag-tag-silouhettes

Un titre mitraillette, pour illustrer l’activité frénétique et étonnante de certains streetstyleurs japonais pendant la dernière fashion week.

Clic-clac on se retrouve dans le Canon, puis on se soumet à un petit interrogatoire en bonne et due forme:

« Quelle est la marque de vos chaussures, de vos chaussettes, de votre pantalon, de votre chemise, de votre manteau, de vos lunettes, de votre écharpe… », le tout est consigné consciencieusement dans un petit carnet. C’est qu’au Japon le streetstyle c’est sérieux.

Tag ! Tag ! Tag ! Tag ! Tag ! Tag ! Me voilà donc taggé de haut en bas, réduit par le streetstyleur industriel à une succession de labels (Acne, Kris Van Assche, Le Coq Sportif, Junn J., etc.). Nous sommes tous des labels, étiquetté-classé-rangé !

Est-ce le désir brûlant d’être pris en photo qui accentue la multiplication, lors des fashion week, de ces Inc(r)oyables et Me(r)veilleuses du XXIe siècle, véritables paons aux tenues-amalgammes, freaky-looks constitués d’un amoncellement hétérogène (souvent) de pièces de créateurs. Que reste-t-il alors de la personnalité, de l’allure, voire du style ?

Il reste de tout çà le spectacle, le spectacle de la mode, un spectacle de mode dans la rue, la Commedia dell’arte devenue Commedia della moda !