Dépositaire du nom « Cinemagraph« , Kevin Burg et Jamie Beck (Ann Street Studio) ont su diffuser, même s’ils n’ont pas créés le concept, un modèle d’animation entre cinéma et photographie. Une partie de l’image est animée alors que le reste demeure immobile. Le format à connu son discret essor il y a environ 4 ou 5 ans tout d’abord auprès des marques de luxe américaines (DKNY, Oscar de la Renta…).
Il faut dire que le format s’y prête bien, moins « agressif » que le GIF animé, il transmet un « temps suspendu » propre au luxe.
Pour Kenzo Parfums décidément en grande forme ces derniers mois, l’agence Balistik’Art associée au jeune Julien Douvier ont réalisé aux abords de la Philarmonie de Paris, un clip plein de poésie.
Comment passe-t-on de la campagne été 2014 de Kenzo (ci-dessus), fortement empreinte de surréalisme, à une série de pochettes hantées par les toiles de René Magritte, du groupe new-wave-art-rock des années 80 Talk Talk…
… puis aux tableaux Le siècle des Lumières (1967) et Shéhérazade (1947) de René Magritte?
À l’aube du XXIe siècle nous sommes tous des curators…
Naviguer sur internet… Suivant les lois de la sérendipité, les images surgissent s’enchaînent, chaotiques, obéissants aux froids algorithmes, nous voilà submergés. Les outils nous bercent d’illusion créatives, nous créons des collections… d’images. En fait nous ne faisons que classer, simple activité administrative. On « tag », on « pin » fièrement tel un bon petit ouvrier de la Matrice, commissaires d’exposition de notre propre show sur la Toile. Tous curators…
Peut-on donner du sens à notre boulimie iconographique et visuelle?
On néglige souvent le fait de créer du sens aux agencements que l’on crée (ou alors on ne sais pas comment). Il faut un réel engagement pour que les images se rencontrent avec une signification. Cette navigation has(hard)euse peut à la fois être dérangeante ou heureuse, tout dépend du point de vue où l’on se place. Je me souviens d’une recherche récente sur une jeune créatrice d’objets de luxe qui me renvoyait systématiquement les images des ébats d’une actrice porno… Cohabitation délicate.
Stop ou encore?
Comment sortir de cette spirale exploratrice? comment éviter de naviguer au hasard, d’image en image en espérant trouvant l’île au trésor? Dans curation il y a le mot cure (guérison). Comment se soigner de cette envie frénétique d’organiser à des fins non réellement définies les iconographies? Apprendre à naviguer, à créer une méthodologie afin d’éviter le piège grisant de trouver ce que l’on ne cherche pas et qui tout à coup revêt un caractère primordial.
Retour au réel, ma brève déroute nocturne, de Kenzo à Magritte, avec comme fil rouge le Surréalisme, porte mon regard sur le magazine surréaliste Permanent Food (photos ci-dessous), créé par l’artiste italien Maurizio Cattelan et Paola Manfrin, que j’ai reçu il y a peu de temps.
La revue (réincarnée en Toilet Paper en 2010) compile des photos glanées dans les magazines et mises en regard sur chaque double page. Aucun crédit, aucune référence, tel un moteur de recherche manuel, les images s’entrechoquent, en apparence au hasard, de manière brutale, poétique ou ironique. Même aléatoire, d’après l’artiste, la démarche n’est pas dénuée de sens artistique et les calculs sémantiques des moteurs de recherche actuels n’en sont pas encore à ce niveau de sophistication. Chaque page tournée nous interroge, provoque notre intelligence, voire nous inquiète car on redoute la prochaine association… On peut établir un parallèle avec le travail de Raymond Depardon (ici) réalisé entre 2004 et 2010 et celui des Google Street View. L’un est intentionnel, l’autre systématique, à sujet identique résultat différent.
La sélection d’image de Permanent Food, parce qu’elle est manuelle et donc forcément engagée (elle fait écho à un choix) est hautement plus disruptive qu’un moteur de recherche avec Safe Search désactivé…
Nos sérendipités et nos classements sur les board à succès sont malheureusement loin de provoquer de tels émois, faisant de nous des curators du néant.
Tout est esthétique. Ainsi, Kenzo Takada s’est chargé de mettre en boite un assortiment de sushis, rendant l’ensemble luxueux et désirable à souhait. Redbox est un généreux coffret rouge laqué qui accueille trente-six copieux petits trésors gustatifs créés en partenariat avec la maison Sushi Shop.
Une belle réussite
Cuisine et design font bon ménage Sushi Shop est coutumier du fait (l’an dernier c’est avec la Maison Christofle que le traiteur haut de gamme s’était associé).
« Hors du luxe point de salut »
Rien ne semble actuellement plus efficace que d’utiliser les codes utilisés par le luxe, la mode ou l’art. Rien de mieux, pour susciter le désir, que d’enchanter nos assiettes et nos papilles grace à l’intervention d’un designer reconnu et accessible (relire ce billet, notamment le passage sur l’effet Mathieu).
Three photos from the last show of Kenzo during the men’s fashion week (summer-spring 2010-2011) in Paris.
Three suits in vivid colors: red, green and blue, like RGB, the additive color system used on our everyday screens.
Red
Green
Blue
The use of color is in Kenzo’s ADN and they are successful at it, but it’s still a rare and a difficult goal to reach in fashion design, (yes black is easier here in occident, just look in your street). A Kenzo show is always a place to be during a fashion week.
Le Lycée Carnot et son immense cour couverte accueille un défilé « démocratique » où les invités s’installent selon leur désir. Pour affronter le froid du début de cette nuit de mars un petit plaid nous attend délicatement plié sur les chaises.
Dans le préau vont s’élancer les mannequins à la coiffure acidulée et aux vêtements très marqués par les fondamentaux du créateur.
On retrouve en effet les volumes géométriques, les asymétries et le style chic-punk qui ont fait le succès de la maison au début des années 80. Noir, indigo et ivoire forment une palette de saison et seule une mèche de cheveux tantôt rouge tantôt bleu canard vient de temps en temps enflammer la silhouette.
J’ai aimé les jupes asymétriques aux larges plis et les silhouettes composées d’une veste et d’une jupe, sans ourlet, le tout ressemblant à un manteau en gros lainage coupé à la taille (voir ci-dessous).
Aimé les montages de manches froncés à l’épaule (ci-dessus), comme si l’envers était porté à l’endroit, très handmade et non-fini, certes déjà vu, mais çà fonctionne toujours.
Les larges salopettes, les jupes à bretelles ainsi que les pulls résille façon filet de pêche, restent très connotées « deconstructionnisme » des années 80 (mouvement où l’on retrouvait également Kenzo et Rei Kawakubo).
Ce défilé était l’un des derniers de la folle semaine parisienne de la mode. La bande son qui flirte entre le folk irlandais et du gros rock et les vêtements réinterprétant les classiques de la maison font planer une certaine nostalgie dans ce défilé. Une envie soudaine, pendant le show, de photos floues, pour mieux illustrer ce sentiment.
Antonio Marras, Gaspard Yurkievich et Kris Van Assche ont chacun une manière bien personnelle de porter la veste.
Petit décryptage en image:
Dandy, Antonio Marras, backstage à la fin du défilé Kenzo
Antonio Marras porte une veste faisant partie d’un costume trois pièces. Avec sa poche poitrine à rabat montée de biais et sa tonalité kaki elle prend des allures vintage ou de veste de chasse à courre. Portée avec un gilet donc, avec un côté « tiré à quatre épingles mais pas trop » que j’affectionne particulièrement. Un carré de couleur sombre autour du cou, non noué et passant sous le gilet ajoute une touche précieuse à sa tenue. On entrevoit une chemise au fin quadrillage qui réactualise l’ensemble. Antonio Marras joue habilement sur le registre gentleman farmer moderne.
Arty, Gaspard Yurkievich, backstage, avant le show
Porte une veste en poil de chameau sur un tee-shirt à même la peau et à large encolure. On ne le voit pas sur cette photo, mais les manches du tee-shirt recouvrent plus que le poignet et dépassent de dix bons centimètres de la manche de la veste. Un style arty et contemporain, comme les créations du styliste.
Graphique, Kris Van Assche, backstage Christian Dior
Clair-obscur, sous un regard malicieux et complice, KVA porte une veste à la coupe fluide et une chemise couleur charbon (thème du défilé de Dior Homme AW, 2010-2011). Les manches de la veste sont relevées pour un style très graphique, citadin et actuel.
La mode est le miroir idéal de nos comportements de ce côté-ci de la planète et bien entendu, en cette période frileuse à plus d’un titre, ce désir de retour à la mère-nature est fort présent dans les campagnes de communication de certaines marques cette saison.
Mettons de côté la go green attitude qui n’est pas une tendance mais un passage obligé à moyen-court terme pour l’industrie, de côté également certains créateurs comme Stella Mc Cartney, Kenzo où la nature fait partie de l’ADN de la marque.
Point de robe de bure, ni de sandales en corde, point de tendance Amish chez les autres créateurs, ici le retour à la nature est ostentatoire. Broderies, boutons dorés, col en fourrure, nœuds, franges sont nécessaires pour un séjour dans la grande maison familiale ou pour se retrouver entre amis dans la campagne, un nomadisme chic entre folk luxueux et un classicisme théâtral.
Simple paradoxe
Un retour à la simplicité mais avec tout nos atours, délicieux paradoxe, parfaitement assumé.
danse chamanique entre amis, ce week-end, à la campagne.
(Gucci AW2008-2009, par Inez van Lamsweerde and Vinoodh Matadin).
The good ol’ days (vous noterez les arrière-plan peu engageants) : les couleurs, les imprimés
et les accessoires claquent pour signifier la chaleur du temps retrouvé. La famille se regroupe
autour de trois générations, parmi les poules, les labradors et les chevaux…
Not only humans, but animals too
Dès lors, l’ensemble de nos instincts se réveillent, l’envie de grimper aux arbres, de s’allonger à même la terre mouillée. Tout comme nous l’ont signifié récemment les campagnes d’Aigle et de Wrangler nous ne sommes, après tout, que des animaux.
pour la réintroduction de l’homme dans la nature, Aigle.
we are animals, Wrangler (Mise-à-jour: campagne primée par le Grand Prix Presse à Cannes le 24 juin 2009)
Dans la vision de notre rapport à la nature ci-dessus, le vêtement est peu ou pas mis en valeur ce qui prime c’est lasensation, le vécu, de l’anti-glamour pur et dur, aux antipodes des campagnes Gucci ou Dolce & Gabbana. Autant j’apprécie la campagne print de Wrangler, autant la vidéo qui réinterprète assez « justement », me semble-t-il, l’activité nocturne de nos amis à quatre pattes peut laisser songeur, oscillant entre l’inquiétant et le morbide (voir ci-dessous).
Animalité
À l’opposé, les séries photos présentes dans le dernier Numéro, présentent la sublime Stéphanie Seymour en femme-louve ultra-sexy, shootée par Greg Kadel.
Stéphanie Seymour, chimère en veste sans manches en mouton retourné (Dolce & Gabbana), bijoux d’ongles-griffes de chez Bijules NYC et une voilette surmontée de précieuses plumes par Noel Stewart.
La femme primitive
veste en renard de la maison Louis Vuitton et collier d’ossement d’Erik Haley, pour une Lucy des temps modernes.
La femme élémentaire
ou encore la femme-zèbre chez notre Jean-Paul Gaultier national
voire même en pintade de luxe chez Ralph Lauren…
Simplicité ?
On le voit le désir de simplicité par un retour à la nature, est interprété de diverses façons. Tantôt radicale anti-glamour et anti-consumériste, au point de dérouter ; tantôt festive (arrogante ?).
En ces temps incertains, dans nos sociétés qui se complexifient, où l’envie d’appuyer sur pause se fait sentir, le vêtement doit-il se parer de tous les atours ou au contraire créer des silhouettes basiques et sobres ?
En privilégiant la voix et le piano, PJ Harvey à créé l’an dernier avec White Chalk, un album dépouillé de tout superflu, rèche même, d’une émouvante sensibilité et d’une haute exigence. Pour autant qui à envie de ressembler à miss Polly Jean Harvey sur la pochette de son cédé ?
Peut-on imaginer, comme la chanteuse l’a fait avec sa musique, un retour à certains fondamentaux dans la mode ? Non pas un retour du courant minimaliste des années quatre-vingt d’Ann Demeulmeester ou d’Helmut Lang, mais un courant ou un créateur qui arriverait a synthétiser les paradoxes de notre époque.
Comme en musique électronique, une tendance low-fi va-t-elle apparaître dans la mode ? Une tendance qui créerait des vêtements d’aujourd’hui et de demain avec des tissus et des accessoires de récupération, par exemple.
De l’omnipotent LVMH à la discrète maison Hermès, du vintage chic de Didier Ludot aux modèles contemporains de netaporter.com, la mode est comme notre époque, multipolaire, fragmentée, hystérique, en plein mash-up. Redéfinir simplement certaines directions et certaines prises de position aiderait sans doute à y voir plus clair.
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Pour compléter ce billet, je vous conseille de lire :
Le catalogue du salon Maison et Objets consacré à la Simplicité dans le design.
De la simplicité par John Maeda, THE book d’un grand monsieur du design transversal où l’on apprend à aller à l’essentiel, à ne pas mésestimer les émotions et où il énonce ses dix lois de la simplicité.