« I am a dressmaker not a fashion designer »
– Yohji Yamamoto, in « Notebook on cities and clothes », 1989
Étiquette : yohji yamamoto
LE STATUT DE LA MODE

Que l’on situe les prémices de ce que l’on appelle la mode au XIVe siècle au sein de l’aristocratie, à la cour de Louis XIV ou encore à la création de la haute-couture au XIXe siècle par Charles-Frederick Worth, cette activité, bien que s’imposant quotidiennement à des degrés divers, à tout un chacun, est, et à souvent été considérée comme secondaire voire « futile ».
Serge Diaghilev fréquentait assidûment Gabrielle Chanel et Misia Sert qui le lui rendait si bien, amies, conseillères et mécènes.
« Pour lui, Chanel représentait la mode et l’industrie – eaux peu profondes, traitresses, qui ne l’intéressaient guère – alors que dans la hiérarchie des valeurs de Misia, l’art passait en premier et la mode n’était qu’un amusant divertissement. Chanel trouvait indigne le pardessus élimé de Diaghilev ; Misia le jugeait attendrissant et n’en aimait que d’avantage celui qui le portait. »
La lecture de « Misia, la vie de Misia Sert » par Arthur Gold et Robert Fizdale (Folio) de cette pensée du maitre incontesté de la scène artistique parisienne du début du XXe siècle. Créateur, entre autre, des Ballets russes et organisateur des scandaleux Sacre du Printemps (1913) et Parade (1917) m’interroge sur le fait que rares sont les créateurs de mode, même parmi les plus fameux dont le statut atteint au sein du grand public, celui, plus considéré, d’artiste.
A l’instar de Rei Kawakubo ou d’Yves Saint-Laurent, Yohji Yamamoto fait sans doute parti des couturiers ayant franchi la frontière entre mode et art. Il défini aussi une frontière entre l’art et la mode. Pour, lui l’artiste « can make people think, can make people change » (in “Designing men’s clothing is very difficult for me”, Victoria & Albert museum). Parle-t-il de lui? Considère-t-il son travail comme étant celui d’un artiste?
Le couturier (est-ce dû au fait qu’il a été longtemps été considéré comme un « simple » fournisseur) est très logiquement lié à des fonctionnements industriels et saisonniers.
L’artiste, lui, « fait écho à », « est impliqué », « absout », « transcende », « révèle« , il est écouté et via son œuvre déclenche des engagements sociaux, voire politiques…
D’où la seconde question soulevée par cette lecture. Le secteur de la mode n’ayant de cesse de se préoccuper d’art, depuis la création des costumes du Train Bleu (1924) pour les Ballets russes par Chanel en passant par Schiaparelli et ses amis surréalistes, Yves Saint-Laurent et ses robes Mondrian ou encore Louis Vuitton et Takashi Murakami (2009) cherche-t-il à infiltrer nos quotidiens au-delà du divertissement?
Peau neuve #4 | La notion du « vide »
« I understand why European people take my creations as very Japanese. It is probably because if you see a creation as a whole, as 100 percent, I will always try to finish before arriving at 100. This five, seven, or ten percent we call empty or in between or uncompleted in Japanese. It’s when you go to shut a window or door and leave a space. We need this space, so I design space. Space has always been very important in Japanese traditional art of every genre »
Extrait de l’interview de Yohji Yamamoto pour le magazine en ligne The talks Août 2011 (Ici)
« We need this space, so I design space. »
Dans sa réflexion sur la notion d’espace, la notion de « l’entre », le créateur Yohji Yamamoto, en employant le terme « design » (to design: Realization of a concept or idea into a configuration) pose la question de création, de conception du vide telle une matière première à part entière.
Une idée qui dans son discours parait comme dûe, logique et irréfutable, mais qui pourtant amène à réflexion.
L’espace vide étant ce qu’il est: étendue indéfinie, et ce qu’il n’est pas: objet concret, perceptible par la vue et par le touché, il est difficile d’imaginer le façonner de même sorte que le tangible.
Cependant, Yohji Yamamoto le pense et l’inclue. Il lui offre 5, 7 ou 10% d’ampleur, de liberté. L’inachevé prend alors une autre dimension, la volonté de ne pas arriver à terme, de ne pas donner le point final.
Un parti pris: celui d’offrir à son oeuvre cette étendue, cette infinité, de lui laisser son propre espace d’expression.
Celui de savoir « perdre le contrôle », de prendre conscience qu’il n’est pas de notre ressort de conclure, mais bien de laisser libre. De donner le pouvoir à cette entité qui dépasse les limites de la création docile.
Une sensibilité mise en avant dans les photographies de David Sims (ici) ainsi que dans celles de Nick Knight (ici) où l’ampleur sert de base, tel un support sur lequel le vêtement repose.
Le volume, comme sculpté dans l’espace et dans le temps, suit la ligne du travail de Yohji Yamamoto, celle d’un mouvement saisi, d’un instant « T », vivant et indomptable, rappelant l’œuvre d’Irving Penn pour Issey Miyake (vue ici).
Ci-dessous, Nick Knight pour Yohji Yamamoto
Ci-dessous, David Sims pour Yohji Yamamoto
L’immatériel, l’espace, le vide…
… des idées abstraites que l’artiste Yves Klein exposa à la galerie Iris Clerc en 1958.
« La spécialisation de la sensibilité à l’état matière première en sensibilité picturale stabilisée », une succession de pièces aux murs peints de blancs, dénuées de tout œuvre saisissable. (Concept repris en 2009 au centre Georges Pompidou avec l’exposition »Le symposium »)
L’artiste, dans sa représentation du vide, n’utilisa aucune allégorie. Il tenta de s’en rapprocher, avec humilité, sans essayer de le résigner à « être ».
Une mise en avant de l’espace à l’état brut, sans réalité matérielle, dans sa pleine nature contradictoire.
Un corps qui nous est proche, une entité sur laquelle nos gestes et nos regards reposent, et qui pourtant échappe à nos sens.
Plus concret que l’idée, plus abstrait que l’objet, un être libre non reconnaissable, impossible à concevoir hors du champ de la philosophie, de l’art conceptuel(1).
(1) Mouvement de l’art contemporain apparu dans les années 1960 et dont les origines remontent au « ready-made » de Marcel Duchamp (ici), attachant plus d’importance à l’idée qu’à la matérialisation de l’oeuvre.
Galerie Iris Clerc lors de l’exposition
Art conceptuel, le temps comme l’espace: le Wabi-Sabi
« 1. represents a comprehensive Japanese world view or aesthetic centered on the acceptance of transience
2. The aesthetic principal is sometimes described as one of beauty that is « imperfect, impermanent, and incomplete » — Urban dictionary
De même manière, le principe du wabi-sabi comprend la notion d’infini. C’est le temps, comme l’espace chez Yohji Yamamoto, qui apportera sa sagesse, son histoire et sa beauté à l’oeuvre. Une beauté imparfaite puisque sans échéance elle ne finira de se magnifier. Sa liberté seule la sublimera.
Un concept artistique reposant sur la modestie face à la nature, à l’univers, aux dimensions qui intriguent et fascinent. Les œuvres prennent une dimension spirituelle, tels des dons au temps, à l’espace, à ce qui, « plus que nous », existe.
L’importance ici n’est pas la finalité. C’est la vie, le chemin qui créé la noblesse.
Une philosophie sans espérance, libératrice, une sagesse rare dans une société dont le désir vise ce qu’il ne possède pas déjà, et plus que tout ce qui ne dépend pas de lui. (Cf: « Le bonheur, désespérément » – André Comte-Sponville)
Là est peut être dissimulée la raison pour laquelle l’espace et le temps sont, pour beaucoup, considérés comme le plus grand des Luxe…
PFW | Limi Feu AW 12
Elles ont l’air si parisien avec leurs petites têtes les mannequins de Limi Feu, beaucoup de cheveux courts, des bérets et des bibis… Rousse et frangée, elle est Poil de carotte androgyne; noir de jais, la voici Barbara ou Zizi Jeanmaire moderne; blonde décolorée, elle est néo-Blondie; échevelée romantique, c’est une héroïne grunge. Elle est donc aussi un peu déjantée, tout comme les volumes que Limi Yamamoto se plaît à bousculer pour cet hiver.
Les chemises s’allongent et se métamorphosent en robes. Les robes mutent en manteau. Les pantalons escaladent le corps pour devenir un hybride entre la salopette et la combinaison. Un corset se régénère en robe corsetée.
Les cols, les manches, les rabats de poche et les boutons sont, sur certaines silhouettes sur-dimensionnés. Un travail sur les proportions et la reproduction, rappelant un peu, Martin Margiela (circa. 1999) et son travail sur l’oversize et la reproduction de vêtement de poupée.
Dans ses vêtements trop grand pour elle, la femme Limi Feu semble frêle et perdue. Les mains dans les poches elle fonce la rebellion sous cape.
Et puis des robes, plus ajustées, plus chatoyantes…
…ou plus agitées jouant avec les asymétries et les codes de la famille…
ou ci-dessous, comme un clin d’œil à la grande Mademoiselle.
Chez les Yamamoto on aime Chanel, en 1997 Yohji rendait hommage à Gabrielle Chanel en faisant défiler ses réinterprétations du tailleur en tweed.
Jeux de dos
Ci-dessous un pantalon se fait combinaison (vue de dos)
vue de face
Portrait à la mode | Yohji Yamamoto
Le portrait d’un créateur, d’une personnalité de la mode avec une signature, une citation et le buste tracé d’un seul trait, comme pour en capter l’essentiel…
There is a ressemblance with eye of Horus in Yohji Yammoto’s view.
Il y a quelque chose de l’œil d’Horus (œil d’Oudjat) dans le regard de Yohji Yamamoto…
See the galery of previous portraits – Voir la galerie de portraits
Arts of fashion Foundation | From concept to reality
A sample of the garments made by the students with Aurore Thibout and Laurence Teillet.
Now the project (quite conceptual) is nearly complete, the evolution since my first coming is huge and what surprise me more is the diversity.
From the concept (a garment from second-hand shirts) to the final result, each student use the prints, the stripes, the different parts of the shirts on his own way. We have dresses with volume, some using the graphic prints and the stripes, to create path that become shapes, some are very colourful, some are a gradient of pale colours, some are big and some are tiny (slideshow below). Next step the exhibition (July 29)!
Two models draw my attention because they reminds me works of famous designers. Below, the first photo of this post reminds me Yohji Yamamoto 1986’s dress, shoot by Nick Knight
… and below this Viktor & Rolf crazy collar shoot by Inez Van Lamsweerde and Vinooh Matadin reminds me the tiny garment in the slideshow
… et ci-dessous ce jabot fou de Viktor & Rolf shooté par Inez Van Lamsweerde et Vinooh Matadin me rappelle le tout petit vêtement présent dans le slideshow.
—
Arts of Fashion Foundation website is here, to have the full story read the posts tagged with « arts of fashion foundation »
PFW | Flous de Yohji
Le Lycée Carnot et son immense cour couverte accueille un défilé « démocratique » où les invités s’installent selon leur désir. Pour affronter le froid du début de cette nuit de mars un petit plaid nous attend délicatement plié sur les chaises.
Dans le préau vont s’élancer les mannequins à la coiffure acidulée et aux vêtements très marqués par les fondamentaux du créateur.
On retrouve en effet les volumes géométriques, les asymétries et le style chic-punk qui ont fait le succès de la maison au début des années 80. Noir, indigo et ivoire forment une palette de saison et seule une mèche de cheveux tantôt rouge tantôt bleu canard vient de temps en temps enflammer la silhouette.
J’ai aimé les jupes asymétriques aux larges plis et les silhouettes composées d’une veste et d’une jupe, sans ourlet, le tout ressemblant à un manteau en gros lainage coupé à la taille (voir ci-dessous).
Aimé les montages de manches froncés à l’épaule (ci-dessus), comme si l’envers était porté à l’endroit, très handmade et non-fini, certes déjà vu, mais çà fonctionne toujours.
Les larges salopettes, les jupes à bretelles ainsi que les pulls résille façon filet de pêche, restent très connotées « deconstructionnisme » des années 80 (mouvement où l’on retrouvait également Kenzo et Rei Kawakubo).
Ce défilé était l’un des derniers de la folle semaine parisienne de la mode. La bande son qui flirte entre le folk irlandais et du gros rock et les vêtements réinterprétant les classiques de la maison font planer une certaine nostalgie dans ce défilé. Une envie soudaine, pendant le show, de photos floues, pour mieux illustrer ce sentiment.
PORTRAIT | ANNA PIAGGI
Madeleine Vionnet | 3D et copyright
Une petite vidéo capturée ce week-end lors du dernier jour de la grande exposition consacrée à Madeleine Vionnet.
La coupe en biais inventée par Madeleine Vionnet apporte un tomber fluide au vêtement, le corps est « enveloppé » naturellement, sans contrainte, le corset est mis dé-fi-ni-ti-ve-ment sur la touche.
Outre sa maîtrise de la coupe, son travail est également basé sur la structure du vêtement et les formes géométriques de base (cercle, carré,…). J’ai même vu certains croquis agrémentés de formules mathématiques!
La première vidéo est une modélisation 3D simulant la réalisation d’une robe de la saison hiver 1920 et composée de quatre panneaux identiques (dite « robe quatre mouchoirs ») taillés dans le biais et d’une ceinture. Époustouflant de simplicité et d’ingéniosité.
« Finger prints of fashion », la seconde vidéo, évoque les problèmes de copyright qu’elle est une des premières couturière à aborder. Pour y remédier, elle mettra en place un système mêlant sur l’étiquette de ses créations, griffe, numéro de série et son empreinte digitale. Autre précaution prise par la maison Madeleine Vionnet, chacun de ses modèles est pris en photo de face, de côté et de dos, puis est archivé dans d’énormes classeurs. Elle sera à l’origine de la création de « l’Association pour la défense des Arts Plastiques et Appliqués » dont l’objectif est de protéger les intérêts de la Haute-Couture.
À la suite de l’exposition on comprend aisément que les principaux créateurs de mode vouent un véritable culte à cette visionnaire. De John Galliano qui affectionne si particulièrement la coupe en biais, à Pierre Cardin et son « obsession » du cercle géométrique, en passant par la fluidité chère à Azzedine Alaïa, voire le travail conceptuel d’Hussein Chalayan ou d’un Yohji Yamamoto, la liste est longue.
—
Rodolfo Paglialunga est le nouveau designer de la maison Vionnet depuis l’an dernier. Sa première collection Croisière est visible ici
A lire absolument, Madeleine Vionnet, puriste de la mode
Limi Feu, fille de…
On les aime ces boutiques où la cliente peut prendre le thé en faisant son shopping, profiter du cadre très apaisant du lieu, murs blancs et bois clair, saisir un peu de ce temps suspendu.
Attiré par la tenue très « années 20 » d’un mannequin Stockman au fond d’une cour, c’est ainsi que je me suis retrouvé dans la boutique de Limi Feu, la créatrice « fille de » dont on a pas mal entendu parler ces derniers mois.
Comme Yohji Yamamoto, son père, elle sait rendre hommage aux périodes passées, comme chez lui le noir est de rigueur, les gros plis, les fronces et cette coupe si particulière au créateur japonais. Mais Limi Feu marque sa différence, c’est ce qui vous fait rester dans la boutique pour en voir plus. Des voiles, des formes plus féminines, voire ludique, des jupes courtes plissées généreusement leur donnant alors un beau volume, des top XXL en fine maille découvrant cou et épaule, un style punk-arty-chic, que l’on peu rehausser d’accessoires (mini sacs, mi-bas ajourés, etc.).
Avec Limi Feu on a l’impression de continuer une histoire, celle du style Yamamoto, qui se réactualise et s’adapte avec discrétion à son époque, traverse les époques, indémodable.
Limi Feu « Paris home » – 13, rue de Turbigo – 75002 Paris