


EN 2009 L’ARTISTE FRANÇAIS XAVIER VEILHAN EXPOSAIT DANS LES ALLÉES DU PALAIS DE VERSAILLES UNE SCULPTURE MONUMENTALE DE 15 M DE LONG RÉALISÉE EN TÔLE D’ACIER SOUDÉ.
AVEC CETTE SCULPTURE MULTIFACETTES 3D L’ARTISTE SAISISSAIT DANS LE TEMPS ET L’ESPACE UN CARROSSE LANCÉ À PLEINE VITESSE.
Résumé de la table ronde du 23 octobre à l’IFM
Participants: Elsa Janssen, responsable du pôle Art et Création aux Galeries Lafayette, Lorraine Audric, professeur à la Parsons School, Caroline Champion, spécialiste des relations entre art, mode et haute-cuisine, Émilie Faïf, scénographe-plasticienne, Alexandra Fau, journaliste et critique pour différentes revues d’art contemporain, Christophe Rioux, professeur d’économie.
Emilie Faïf- Les relations entre l’art et les métiers du luxe apportent à l’artiste concerné une visibilité qu’il n’aurait pas au sein de son atelier, mais aussi des budgets et des matériaux qui lui seraient difficilement accessibles.
– Certaines marques sont sincères (ex: Issey Miyake, Comme des Garçons, Hermès..) et prennent du temps pour faire comprendre leur univers à l’artiste invité. Mais elles conservent un désir de maîtrise sur ce qui va sortir, elles demandent avant tout un produit (politique communicante).
– D’autres marques comme Isabelle Marant cherchent moins à maîtriser le travail de l’artiste et veulent comme résultat de la collaboration laisser passer un sentiment, une émotion.
Alexandra Fau, Lorraine Audric- Plusieurs grandes maisons ont été contactées, afin de avoir comment elles collaboraient avec les artistes, existe-il une réelle connivence ou est-ce un énième logo appliqué ?
– Ces maisons ne semblent pas chercher les jeunes talents (peur ?), il n’y a pas d’investigation, on retrouve toujours « les » Richard Prince, Nan Goldin, Erwin Wurm… Il y a uniquement le désir d’augmenter la cote de l’objet mis en vente.
– Cela correspond à la recherche d’artistes « compatibles », c’est-à-dire qui ont une démarche esthétique cohérente avec la maison et ce qu’elle souhaite donner comme image.
– On observe un effet Matthieu dans le choix des artistes. On assiste a un phénomène de starification, on multiplie les passerelles avec une prime à la célébrité. Pour valoriser des produits on va chercher la superstar (Nan Goldin…)
Caroline Champion- Les relations entre art et mode ont fondamentalement changé durant le siècle passé, si l’on se réfère aux deux citations ci-dessous:
– La relation entre art et mode n’est pas naturelle pour Madeleine Vionnet: « La couture c’est du commerce, quand on parle d’un artiste on parle d’une personne, mais quand on parle d’un couturier on parle d’une maison de couture, c’est commercial. »
et
– Pour Jean Louis Dumas, ex PDG d’Hermès, le rapprochement semble évident: « Si je ne craignais pas d’apparaître prétentieux, je nous comparerais a un artiste peintre, on ne dit pas que Picasso a marqué un tableau on dit qu’il l’a signé, nous partageons cette notion de dignité de l’oeuvre »
Christophe Rioux- Un échange du type potlach: où l’on attend une réciprocité, ce sont des échanges rarement desintéressés.
– Contexte de fond économique: le luxe et l’art sont intégrés dans le mouvement des industries de la création.
– Il y a une convergence généralisée des lieux du luxe et de l’art contemporain, il se crée un tourisme-nomadisme artistico-luxueux: « là où va le luxe, va l’art »
– En marketing l’enfant de la fusion entre monde de l’art et du marketing s’appelle artketing.
– Agit dans les deux sens : il à créé des « produits » et a ensuite intégré ces produits dans ses expositions (y compris muséales) jusqu’à y mettre une véritable mini boutique Louis Vuitton, créant par la même un mini scandale…
– La stratégie pour les marques est de monter en gamme, remonétiser en prenant un nom connu de l’art contemporain ou du design. Cela apporte à la marque une singularité, un caractère unique, celui du créateur solitaire.
Lydie Valentin- Il y a une légitimation créative des maisons de luxe et de mode lorsqu’elles font appel a des artistes contemporains.
– Processus de récupération et de copier-coller: les cabinets de tendance semblent beaucoup s’inspirer de l’art contemporain afin d’identifier des axes et des pistes de création.
– Glissement de l’artiste vers le créatif. Il y a une évolution patente des créatifs vers le statut d’artistes a part entière (cf. Hussein Chalayan qui fait régulièrement des expositions dans des lieux d’art).
– Les artistes contemporains sont-ils dans une tendance de création pour valoriser leur travail ?
– Il y a une inspiration mutuelle, un phénomène d’échange permanent.
Vitrine de la boutique d’Isabel Marant par l’artiste Emilie Faïf (à droite sur la photo)
« L’art doit rester l’art, la mode doit rester la mode »
Elsa Janssen- les artistes sont enthousiastes à l’idée de mettre en scène des vitrines, de travailler dans des espaces différents de leur atelier, de faire de nouvelles rencontres, d’avoir à faire à de nouvelles contraintes, de développer des connivences avec d’autres marchés, de développer des projets innovants, d’avoir accès à des matériaux difficilement accessibles, d’avoir une relation qui s’enrichit.
– Les entreprises privées créent de plus en plus de fondations, dans lesquelles de moins en moins de conservateurs vont diriger. Elsa Janssen souhaite que l’autonomie de ces lieux demeure afin de pour faire avancer l’histoire de l’art.
– L’objet est une œuvre en tant que tel, un sac Hermès est un investissement que l’on peut transmettre à ses descendants comme une oeuvre d’art.
– On créé des produits de plus en plus hybrides : les produits de luxe ont tendance a devenir des œuvres d’art et inversement.
– Le luxe est engagé dans un processus de démocratisation, les produits sont de moins en moins anomaux (moins fortement symbolique et perdant leur fréquence d’achat plus rare, opposé à banal).
Caroline Champion- Lorsque les designers culinaires font des performances, est-on en présence d’un produit dérivé de l’art contemporain ou est-on du coté du design ? Les problématiques de rentabilité, de reproductibilité de l’œuvre sont difficiles dans le cadre d’une performance.
– Il se développe une économie du fétiche (correspondrant à la valeur symbolique des choses) afin de valoriser une production par comparaison avec l’art qui lui est doté d’un réel pouvoir symbolique.
– Les industries du luxe (Pinault/Arnaud) ont un quasi-monopole sur le financement d’un grand pan de la culture et de l’art contemporain. Sans elles il n’y aurait pas toutes ces manifestations culturelles.
– Vu le marché concurrentiel féroce dans lequel les choses évoluent et bien que ce soit une logique qui a toujours existé, jusqu’à quel point y a-t-il aliénation ?
– Comme ces industries deviennent des sources de financement incontournables cela favorise-t-il les artistes luxo-compatibles, les artistes d’affaires?
– On assiste à l’émergence de produits pop (post Warhol, post Duchamp). Des artistes comme Takashi Murakami ou Richard Prince entretiennent une relation étroite avec cette logique, mais gageons que les artistes aient suffisamment d’indépendance pour ne pas sombrer dans ce schéma.
– ex: Wim Delvoye et Sylvie Fleury ont ils conservé leur pouvoir critique ?
– Qu’il soit un partenaire, comme une entreprise ?
– Certains artistes fonctionnent comme des PME.
– Aujourd’hui un étudiant en art préparant son Master s’imagine comme un futur Takashi Murakami habillé en Prada. Il fait un exposé sous Powerpointâ„¢ avec des visuels en 3D présentant l’oeuvre qu’il va produire dans 6 mois et qui tiendra compte des contraintes du marketing !
– Ce mouvement prophétisé par Andy Warhol existe et va se renforcer; les musées deviennent des grands magasins et inversement.
– Giorgio Armani veut que son flagship de la Ve avenue soit un Guggenheim.
– On a vécu l’intensification du phénomène d’esthetisation de la marchandise, le beau est partout, une machine a café, un aspirateur se doivent d’être beau. L’industrie du luxe et de la mode ont besoin de retrouver une aura pour éviter la banalisation (effet Canada Dry).
– Symétriquement on a vécu une marchandisation de l’art et de la culture.
– Les codes des maisons de luxe sont copiés par « les » H&M et consorts.
– L’effet camouflage consiste à inviter des créateurs une fois par an pour masquer une non-créativité. Rem Koolhaas pour créer le batiment de la télévision chinoise(!) ou Karl Lagerfeld, Sonia Rykiel, Alber Elbaz pour H&M.
– Il est alors intéressant d’observer le développement stratégique de LVMH rachetant Maje et Sandro afin de créer un luxe populaire, populuxe (?)
– Le luxe et la mode vont vers l’art contemporain afin de retrouver un ré-enchantement (la religion esthétique) de la marchandise, le shopping devenant un acte culturel.
Une petite vidéo capturée ce week-end lors du dernier jour de la grande exposition consacrée à Madeleine Vionnet.
La coupe en biais inventée par Madeleine Vionnet apporte un tomber fluide au vêtement, le corps est « enveloppé » naturellement, sans contrainte, le corset est mis dé-fi-ni-ti-ve-ment sur la touche.
Outre sa maîtrise de la coupe, son travail est également basé sur la structure du vêtement et les formes géométriques de base (cercle, carré,…). J’ai même vu certains croquis agrémentés de formules mathématiques!
La première vidéo est une modélisation 3D simulant la réalisation d’une robe de la saison hiver 1920 et composée de quatre panneaux identiques (dite « robe quatre mouchoirs ») taillés dans le biais et d’une ceinture. Époustouflant de simplicité et d’ingéniosité.
« Finger prints of fashion », la seconde vidéo, évoque les problèmes de copyright qu’elle est une des premières couturière à aborder. Pour y remédier, elle mettra en place un système mêlant sur l’étiquette de ses créations, griffe, numéro de série et son empreinte digitale. Autre précaution prise par la maison Madeleine Vionnet, chacun de ses modèles est pris en photo de face, de côté et de dos, puis est archivé dans d’énormes classeurs. Elle sera à l’origine de la création de « l’Association pour la défense des Arts Plastiques et Appliqués » dont l’objectif est de protéger les intérêts de la Haute-Couture.
À la suite de l’exposition on comprend aisément que les principaux créateurs de mode vouent un véritable culte à cette visionnaire. De John Galliano qui affectionne si particulièrement la coupe en biais, à Pierre Cardin et son « obsession » du cercle géométrique, en passant par la fluidité chère à Azzedine Alaïa, voire le travail conceptuel d’Hussein Chalayan ou d’un Yohji Yamamoto, la liste est longue.
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Rodolfo Paglialunga est le nouveau designer de la maison Vionnet depuis l’an dernier. Sa première collection Croisière est visible ici
A lire absolument, Madeleine Vionnet, puriste de la mode
CETTE SEMAINE, MES DÉCOUVERTES TOURNENT AUTOUR D’UN SEUL HOMME: DIETER RAMS.
DESIGNER EMBLÉMATIQUE ET VISIONNAIRE DE LA MARQUE BRAUN IL DÉTOURNA LA MAXIME « LESS IS MORE » DE LUDWIG MIES VAN DER ROHE EN « LESS BUT BETTER ». IL FAIT PARTIE DE CES DESIGNERS ADEPTES DU MINIMALISME. J’AI RE-DÉCOUVERT DIETER RAMS LORSQU’IL A ÉTÉ MIS AU FAIT QUE JONATHAN IVE (CHEF DU DESIGN DES PRODUITS APPLE), S’INSPIRAIT FORTEMENT DE CES CRÉATIONS (VOIR ICI ET ICI).
CES DERNIERS JOURS JE ME SUIS DOCUMENTÉ SUR CE DESIGNER DE GÉNIE DONT LES CRÉATIONS SONT DÉSARMANTES D’ACTUALITÉ. VOICI QUELQUES LIENS POUR DÉCOUVRIR PLUS AMPLEMENT SON TRAVAIL.
HELMUT LANG, JIL SANDER, HUSSEIN CHALAYAN OU MARTIN MARGIELA ? IL MANQUE CHEZ EUX LA DIMENSION INDUSTRIELLE, LA PRODUCTION DE MASSE. CES CRÉATEURS RESTENT, MALGRÉ LEUR ÉNORME INFLUENCE, ASSEZ CONFIDENTIELS.
INNOVANT, UTILE, ESTHÉTIQUE, COMPRIS/ACCESSIBLE PAR LE PLUS GRAND NOMBRE, DISCRET, HONNÊTE ET DURABLE, LES CRÉATIONS DU PROVOCANT CALVIN KLEIN SEMBLENT RESPECTER LA MAJEURE PARTIES DES DIX RÈGLES DU GOOD DESIGN » CHÈRES À DIETER RAMS.
POUR SA COLLECTION HOMME PRINTEMPS-ÉTÉ 2010, JUN TAKAHASHI STYLISTE D’UNDERCOVER SE DIT FORTEMENT INFLUENCÉ PAR LA TRAVAIL DE DIETER RAMS.
© PHOTO VITSOE
Le plus difficile lors d’un festival comme celui d’Hyères est de savoir faire la part des choses, différencier les créations coup de cœur des créations qui augurent d’un réel potentiel.
L’an dernier Jean-Paul Lespagnard et Matthew Cunnington se trouvaient aux antipodes l’un de l’autre stylistiquement parlant, mais tous les deux jouissaient d’une certaine crédibilité.
Cette année, je suis un peu passé à côté des choses; n’ayant pas pu assister à la première journée du festival, je n’ai pas pu prendre le temps d’apprécier l’ensemble des collections et des expositions. Dimanche j’en étais encore à mes coups de cœur et ne portais qu’une légère attention au buzz autour du duo letton, futur lauréat de l’édition 2009.
De mes échanges avec les différents designers et photographes, voici ce que j’ai retenu/aimé/détesté de ce week-end pluvieux mais toujours passionnant :
qu’une grande partie des créations présentées cette année étaient finement « ciselées », beaucoup de plissés, de découpes et d’empiècements…
Création Maxime Simoens, sur le thème du kaléidoscope, multiples découpes et bas de robe mille-feuille.
Création Thomas Trautwein, « Bandit Couture » : gilet à empiècements multiples, fermeture Perfecto et aux épaules plissées
Plissés réguliers sur le devant de cette robe « chic et choc », création des lauréats Marite Mastina & Rolands Peterkops
car la moitié des designers sélectionnés se réclament de la Sainte Trilogie « arty-fashion » : Martin Margiela/Rei Kawakubo/Hussein Chalayan, voire des trois à la fois. Une tendance qui m’a fait leur demander naïvement s’ils se considéraient plutôt comme des fashion designer ou des artistes. Bien entendu leur réponse fut unanime: la finalité est de créer des vêtements destinés à être portés (wearable)…
La créatrice la plus emblématique de cette tendance est Melody Deldjou Fard dont le thème explore les transformations corporelles résultant de notre interaction avec les technologies, ses vêtements (sauf un) défilent sur des mannequins de chiffons portés par des mannequins de chair…
Création Melody Deldjou Fard
Ci dessous deux extraits très courts d’un entretien avec Melody et Anémone Skjoldager lorsque je pose ma « question-piège » (éclats de rire inside) :
[mp3]http://www.lemodalogue.fr/audio/fimh2009-fashion designer vs artist.aif.mp3[/mp3]
par la démarche créative de Steffie Christiaens qui a réalisé sa collection en photographiant des vêtements basiques soumis à l’influence du vent. Ces instants « saisis » font apparaître des formes inédites à partir desquelles elle crée le vêtement. Idem pour les créations d’Anémone Skjoldager qui construit ses vêtements à partir des projections qu’elle réalise sur des acrobates vêtus de blanc; le motif crée le patronnage, générant des formes inattendues. Des démarches proches où photo et vidéo, manipulées par le créateur, sont à la racine du processus créatif.
Création d’Anémone Skjoldager, bichromie géométrique, sous influence Op Art
Création de Steffie Christiaens, qui rappelle les réalisations de Rei Kawakubo pour Merce Cunnigham
de Camille Vivier sur la fascination qu’exerce l’art contemporain sur les stylistes de mode et la mode sur les artistes contemporains.
des hermétiques vidéos de Camille Vivier (ci-dessous Boojie Girl, par A Shaded View)
Je me suis effacé
comme les mannequins de Thomas Trautwein, Melody Deldjou Fard et Marite Mastina & Rolands Peterkops.
Bandit romantique sans visage (très margielesque)
N’est pas le mannequin qui croit chez Melody Deldjou Fard, le mannequin « sans vie » vole la vedette.
Coiffure oversize pour détective incognito chez Marite Mastina & Rolands Peterkops
J’ai aimé
cette veste (bien que j’aurais préféré une manche gauche classique) de Thomas Trautwein, dont j’étais persuadé qu’il allait remporter le grand prix du jury.
cette robe faite de bandelettes de cuir de Steffie Christiaens
ce manteau d’Harald Lunde Helgesen lauréat du prix Crystallized-Swarovski Elements
Dans un prochain billet je vous montrerai les modèles des lauréats ainsi que les nouvelles collections des gagnants de l’édition 2008, et vous parlerai de mon coup de cœur pour la photographe mexicaine Alejandra Laviada.740
1998, vêtement refuge pour 4. Le matin la tente se dézippe libérant ainsi 4 tenues « urbaines », munies de multiples poches. Le soir les 4 personnes se retrouvent au point de rendez-vous et reforment la tente à partir de leur tenue.
J’ai déjà parlé très brièvement de la styliste (artiste ?) Lucy Orta il y a quelques temps; tout comme Rei Kawakubo ou Hussein Chalayan cités dans l’article ci-dessous, Lucy Orta interroge le vêtement, étudie son interaction avec l’environnement urbain dans lequel la plupart d’entre nous évoluent. Green attitude avant l’heure, ses réalisations sont éthiquement correctes, souvent dignes d’un film d’anticipation, ses « vêtements-refuges »(1) n’en sont pas moins dénouées d’une certaine poésie.
Nul doute comme le souligne plus bas Paul Virilio, que les interactions entres les tribus urbaines et la mode, donc le vêtement et ces accessoires vont aller croissant, même en présence d’espaces virtuels comme MySpace/Facebook/Second Life… Ayant été récemment parrain d’une étudiante(2) exposant une thèse sur le sujet et suite à un échange avec le directeur de thèse, il m’est apparu assez clairement que certains bureaux de style devraient investir plus profondément dans ces recherches et ces artistes afin de mieux projeter nos comportements et définir ainsi les tendances, plutôt que de tenter de suivre difficilement le mouvement.
Ces stylistes/artistes apporteront à leur manière, des réponses aux interrogations techniques, morphologiques, sociales et d’identité liée au vêtement.
Le temps« post-it », le temps qui clignote, a fait de nous des mutants. Prisonniers des angoisses que les nouveaux activistes de l’art libèrent à travers leur travail. Parmi eux, Lucy Orta, 37 ans, née à Birmingham (Grande-Bretagne) et vivant à Paris. Nul ne s’étonnera que Paul Virilio, qu’elle a rencontré dans les années 90, lui ait rendu hommage:« Lucy dénonce, par ses vêtements collectifs, le retour des hommes à la meute. Au moment où l’on nous dit que les hommes sont libres, qu’ils sont émancipés, hyper-autonomes, elle dit au contraire qu’il y a une menace et que les hommes se rapprochent de nouveau. On peut appeler cela des gangs, des nouvelles tribus, des commandos » expliquait-il dans Lucy Orta Refuge Wear (éditions Jean-Michel Place, 1996).
2001, Cologne, « Nexus intervention »
Lucy Orta parle de ses objets comme d’éléments « pertubateurs ». Elle se voit en « utopiste réaliste « . Ses scaphandres urbains font aujourd’hui référence, tant dans l’art que dans la mode, où elle a fait ses débuts comme styliste à la Woolmark avant de créer ses premiers « vêtements refuges », inspirés par des recherches textiles sur les fibres expérimentales. «Les vrais pionniers sont les créateurs qui partent d’une réflexion sur la société.» Et de citer Rei Kawakubo (Comme des Garçons), Hussein Chalayan, Martin Margiela, et même Helmut Lang.
Elle a participé à dix expositions collectives ou en solo en 2003. Une soixantaine de personnes travaillent dans son sillage, véritable factory chargée de créer ses armures siamoises éthiquement engagées, ses accessoires d’anticipation, à l’image de ce Refuge Wear Mobile Survival Sac avec réserve d’eau incorporée (1996) ou encore cette Nexus Architecture, vêtement-intervention porté par 110 élèves de Cholet. La roue tourne, les œuvres naissent et se re-posent, d’un centre de détention à Rennes à la Foire d’art contemporain de Miami, d’un marché parisien – dont elle recycle les surplus pour en faire des conserves « conceptualo-comestibles. (All In One Basket, 1997) au London Fashion College où elle enseigne.
2005, Lucy Orta dans son atelier
Lucy Orta voyage, intervient, suffragette de l’art dont elle remodèle les lieux à son image, de son studio parisien à la Laiterie Moderne, un site industriel en bord de Seine, réhabilité en atelier géant, où elle travaille en collaboration avec son mari, l’artiste Jorge Orta. «Il faut avoir une esthétique et un statement. L’un ne fonctionne pas sans l’autre», assure celle qui vient de mettre en place un «post-diplôme», sur le thème Man & Humanity à la Design Academy d’Eindhoven (Pays-Bas). « Créer un dialogue, ouvrir tout le monde», dit-elle. Ambulances, camions militaires, brancards, architectures corporelles, systèmes d’aide immédiate «pour situations urgentes» : dans son regard, l’utilitaire flirte avec l’hygiénisme d’un nouveau meilleur des mondes, au bord de la catastrophe planétaire et de la science-fiction. Chacun, en regardant ces Ouni (objets urgents non identifiés), se sent tour à tour témoin passif, coupable de non-assistance à personne en danger et victime du drame écologique qu’il a créé.
Cet automne, deux livres couronnent son œuvre, dix après ses premiers « vêtements refuges» : Body Architecture (éditions Verlag Silke Schreiber), et surtout l’impressionnante monographie Lucy Orta(3) éditée en Angleterre, un refuge-book où il fait bon prendre abri.
Alice Hermann
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Un travail qui rappelle la collaboration entre Vexed Generation et Puma (2005), créant, je cite: « le parfait vêtement pour le stealth urban rider ».
2005, Puma x Vexed
A voir:
Le Studio Orta
et
Un peu de lecture…
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(1) Refuge-wear
(2) Les tribus urbaines et la mode : « La culture gothique et son influence dans la mode » : démontrer comment les sphères underground continuent a être un point de référence pour la renouvellement et l’inspiration stylistique, par Maria Eguiguren. John Galliano, Giles Deacon, Jean-Paul Gaultier ou encore Olivier Theyskens étaient cités dans cette étude.
(3) Lucy Orta, Contemporary Artists Series/Editions Phaidon. Entretiens avec Paul Virilio, Nicolas Bourriaud, Roberto Pinto 160 pages/150 illustrations/24 £